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A Monaco, Casse-Noisette Compagnie : L’ensorcelant inventaire de Maillot

Depuis toujours fervente protectrice des arts et des lettres, la Principauté de Monaco entretient des liens privilégiés avec le monde culturel. La vocation mécénale de la famille princière à l'égard du cirque en constitue une illustration. Rien d'étonnant, donc, à ce que ait choisi, pour cette année qui marque le 20ème anniversaire de sa nomination à la tête des , de donner une création qui fait la part belle aux magiciens et aux équilibristes.

Déjà, en 1992, alors qu'il était à la tête du Centre chorégraphique national de Tours, Maillot avait créé un Casse-Noisette Circus sous chapiteau. En 1999, l'œuvre fut reprise à grande échelle sous le chapiteau de Fontvieille à l'occasion du Jubilé du prince Rainier III.

Le ballet proposé aujourd'hui a été entièrement revu par le chorégraphe. Pour Maillot, Casse-Noisette Compagnie doit être considéré comme une sorte de patchwork qui a vocation à résumer ses deux décennies monégasques. L'axe principal du ballet réside dans ce travail de mémoire. Au travers des rêves de la petite Clara qui vont se réaliser grâce à la magie, le ballet fait écho à la propre expérience de . Car tout comme la petite héroïne du ballet, le chorégraphe a croisé la route d'une bonne fée en arrivant à Monaco, en la personne de la princesse de Hanovre : « Quand j'ai proposé à la princesse de Hanovre l'idée d'un nouveau Casse-Noisette, j'ai senti que ce projet l'enthousiasmait. Cette compagnie, c'est elle. La complicité qui nous lie m'a permis de tout oser. Je ne connais pas d'autre endroit au monde où l'on peut jouir d'une tutelle aussi passionnée, attentive et délicate ».

Un ballet-hommage, donc. Les photographies en noir et blanc qui ornent les murs de la salle de classe le prouvent : on y croise les portraits de Vaslav Nijinsky (clin d'œil aux Ballets Russes de Diaghilev qui s'établirent à Monte-Carlo. On rappellera que la Principauté fut, à l'époque, la seule contrée européenne bienveillante à l'égard du scandaleux Sacre du printemps !), la petite princesse Caroline, adorable fillette appliquée à la barre ou encore George Balanchine (la compagnie fictive du ballet répète une chorégraphie qui ressemble à s'y méprendre à la Sérénade du chorégraphe américain). Et au milieu de tout cela, une danseuse anonyme, hommage du chorégraphe à tous (tes) ces inconnu(e)s qui peuplent l'univers de la danse. Hommage, également, aux grands ballets du répertoire : durant le premier acte, les références au Cendrillon de Rudolph Noureev sont autant de clins d'œil au public. Références, également aux créations passées du chorégraphe : Roméo et Juliette (1996), Cendrillon (1999), La Belle (2001) ou encore Le Songe (2005) servent de trame au spectacle créé par Casse-Noisette.

Le ballet enchâsse quantité de récits et de personnages pour tisser son envoûtante symphonie autour de Clara, une adolescente gauche et maladroite qui se rêve danseuse étoile. Si l'intrigue peut sembler un brin trop dense et touffue, notamment pour le jeune public, il convient de privilégier une lecture purement artistique, qui vise seulement à susciter des émotions, tout simplement.

Bernice Coppieters se révèle exceptionnelle dans le rôle de la Fée Drosselmeyer. Sa danse est empreinte d'une délicatesse et d'une noblesse qui n'appartiennent qu'à elle (on mentionnera les somptueux costumes dont elle est parée et qui soulignent à merveille son allure altière) Anjara Ballesteros campe une adorable Clara, pétillante et attachante à souhait. Moderne, déjanté et rebelle, Jeroen Verbruggen incarne un Casse-Noisette comme l'on n'en a jamais vu. Son allure rock n' roll et son énergie folle, alliées à un solide sens de l'autodérision, lui permettent de renouveler avec humour le personnage hofmannien. George et Alexis Oliveira, dans le rôle des Anges Gardiens, sont excellents. Le corps de ballet n'est pas en reste. De manière générale, les garçons se montrent plus convaincants que les danseuses. Les filles pèchent par un certain manque d'homogénéité, mais rien de grave cependant.

Dans Casse-Noisette Compagnie, Maillot invente un art libre, une danse ouverte à tous les vents. La danse purement classique côtoie les arts du cirque. Le spectacle est truffé de trouvailles scéniques et chorégraphiques (avec une mention spéciale pour certains portés). A cet égard, la dernière scène du second acte est un miracle d'exaltation et d'esprit festif. On n'en dira pas plus pour préserver la magie du ballet…

L'utilisation de la partition de Tchaïkovski est judicieuse et inattendue. Quant à la scénographie, elle oscille avec ingéniosité entre réalité et fiction.

Avec cette nouvelle création, convoque le passé avec passion et tendresse et nous offre un Casse-Noisette affranchi de toutes conventions. Le chorégraphe aime rêver à l'impossible… Oscar Wilde ne lui donnerait pas tort, lui qui préconisait de « toujours viser la lune, car même en cas d'échec, on atterrit au milieu des étoiles ».

Crédits photographiques : Les / Alice Blangero

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