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L’art du clavier selon Jean-Efflam Bavouzet

Pianiste trop discret, n'est pas pour autant discret quant à l'expression de son art. Au contraire, son interprétation, un véritable art, est toujours convaincante, rassurante et stylistiquement juste. Voici comment.

Le premier morceau, la Sonate en ut mineur de Haydn, montre d'emblée la clarté du discours à travers une sonorité tout aussi claire. Il exécute toutes les reprises mais ne donne aucunement une impression de répétition alors qu'il n'y met absolument pas l'accent sur des contrastes par rapport à la première apparition de chaque section. C'est donc avec un grand naturel que se déroule sa musique, le plus simplement possible. Et pourtant, des détails sur les sons adoptés – dans le mouvement lent, le son est perlé ou enveloppé, tandis que dans l'« Allegro » final le ton est plus ferme, dans un caractère complètement différent – sont remarquables.

Vient ensuite la redoutable Sonate « Waldstein » de Beethoven. L'allure qu'il donne au début est merveilleusement maintenue tout au long du premier mouvement, ce qui est déjà assez rare, mais plus rare encore est qu'il le joue également avec un grand naturel, sans laisser apercevoir le moindre effort, comme si cette musique jaillissait de ses doigts. La tranquillité apaisante du mouvement médian est très justement dosée pour arriver au final. Là, le musicien interprète le motif thématique, repris par l'octave, comme un vrai enchantement, grâce à cette sonorité cristalline, telle une lumière divine. Vers la fin, il exécute en double glissando les gammes descendantes et ascendantes en octave et en pianissimo, de telle manière que cela évoque une sorte de carillons célestes.

Si dans Beethoven il a augmenté en puissance le caractère d'attaque sur le clavier, dans Bartók c'est bien l'aspect du clavier-percussion qu'il déploie, tout en entretenant la douceur semblable à la corde dans « Sostenuto pesante ». La polyphonie d'intensités, de couleurs et de rythmes est mise en avant par une force éclatante, qui laisse l'auditeur bouche bée.

Dans les trois pièces, le rapport entre plusieurs lignes mélodiques ou celui entre la voix principale et les autres voix est toujours clairement traité, d'où le discours extrêmement intelligible. Et intentionnellement ou pas, son interprétation suggère trois types de clavier, clavecin, piano-forte et piano moderne, sur un seul Steinway. Seul un grand artiste en est capable.

Crédit photo : © Paul Mitchell

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