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L’orgue de concert américain sous les doigts de Jean-Baptiste Robin

Depuis toujours, l'orgue a remplacé l'orchestre, et ce, depuis l'imitation des instruments des ensembles médiévaux, flûtes, cromornes et autres galoubets. Par la suite, le principe s'est perpétué à la Renaissance, et à l'époque baroque. L'orgue permettait à lui seul de remplacer tous les autres instruments, véritable orchestre mis en mouvement par un seul interprète. Ce phénomène s'est amplifié au XIX° siècle avec l'orgue romantique puis symphonique magnifié alors par de grands facteurs tel Aristide Cavaillé-Coll. On connait bien le répertoire symphonique de cette époque.

Outre-Atlantique, ce mouvement fut présent dès l'origine, et ne cessa de s'amplifier tout au long du XX° siècle. L'exemple qui nous est offert aujourd'hui avec l'orgue de Cincinnati est très probant. Voici un orgue de grande taille installé dans un hall, comprenez une salle de concert, un orgue profane, sans connotation liturgique, uniquement conçu pour jouer de la musique symphonique, tout simplement comme le ferait un orchestre. Du coup, par son rôle substitutif, le répertoire orchestral habituel s'y trouve logiquement adapté, d'une manière naturelle qui force ici notre admiration.

Le récital commence par Debussy et sa Cathédrale engloutie, complètement revisitée, comme si l'auteur l'avait conçue pour l'orchestre, de même que le Prélude à l'après-midi d'un faune. Ici, l'illusion est totale, tant à l'écoute on se laisse prendre souvent à penser que c'est un vrai orchestre que l'on entend … Il est vrai que le type même de l'orgue, manifestement conçu pour tous ces effets là, porte l'organiste et l'inspire dans un univers sonore bien éloigné de nos orgues habituels. Le son est chaud, rond, parfois lointain, mystérieux, bref une espèce de magma génial qui révèle un discours inouï. l'organiste ici y navigue à souhait tel un poisson dans l'eau.

Par la suite, le fameux Adagio de Barber confirme ce climat hautement symphonique, jusqu'à la belle voix de la mezzo Stacey Rishol venue ponctuer un beau moment de la Symphonie n° 2 de Gustav Mahler. Toutes ces œuvres sont des transcriptions réalisées par l'interprète, y compris les Danses roumaines de Bartók, et l'Entracte de Bizet. Le récital se termine avec deux pièces d'orgue, le B.A.C.H. de Liszt et les Cercles lointains de , lui même compositeur, pour montrer, voire démontrer les capacités réelles de ce type d'orgue pour un répertoire enfin conçu pour lui. A contrario, on se plait à imaginer ce que donneraient ces œuvres, transcrites à leur tour à l'orchestre.

Le monde de l'orgue nous réserve parfois d'étranges et surprenantes surprises, ici de la part d'un organiste habitué aux orgues classiques français, qu'il met souvent en mouvement à Poitiers ou à Versailles. Mais ce monde est vaste, et il est heureux de constater que bien des barrières s'effondrent lorsque la passion l'emporte. Devant une telle réussite, on ne peut que succomber à la tentation. Un disque à connaitre assurément pour la connaissance d'un univers sonore insoupçonnable.

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