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Persée de Lully à Versailles : combats royaux

L'opéra du château de Versailles vient de voir la recréation de Persée, pour la première fois depuis les représentations qui  furent données lors du mariage du futur Louis XVI.

Menée par l'Atelier Opera de Toronto, cette production laisse entrevoir la flamboyance que le génial Lully fixa en son temps; sans prologue (ce qui est peut être dommage, eu égard à la qualité de celui-ci quand tant d'autres sont stylistiquement moins recherchés), l'action se développe avec une grande finesse de l'orchestration ainsi qu'un équilibre savant entre les différents protagonistes où finalement Persée n'occupe qu'une place secondaire, bien que cruciale. Sans conflits intérieurs propres, Persée est un héros qui s'annonce dans le drame comme un personnage qui n'a pas de doute. Il s'insère d'ailleurs sans gloire ni trompettes, et ne se déploie qu'à travers la richesse des figures féminines et des tourments amoureux qui ne manquent pas de pimenter ses actions héroïques.

En cela, la direction resserrée de qui mène le permet d'encadrer avec une tension dramatique saisissante l'évolution des personnages. Globalement, c'est le plateau féminin qui a le plus séduit sur le plan vocal; il y a peut être une légère inflexion concernant , plus de forme que de fond. Une telle œuvre ne peut supporter une mise en jeu immédiate, dès le lever de rideau, des troubles intimes des personnages et c'est avec trop d'emphase qu'elle laisse découvrir une furie éplorée plutôt qu'un noble cœur plaignant. Un rien de pondération aurait permis de laisser l'empathie pour Mérope opérer plutôt que d'imposer au spectateur la violence des passions trop fortes. En revanche, la voix est très joliment conduite, ce qui s'ajuste agréablement avec l'Andromède de Mireille Asselin, à la voix juste et au physique concerné. Persée, incarné par , fait montre d'une belle présence scénique; c'est un peu dommage que la voix ne semble pas égale sur toute la tessiture, ce qui rompt une certaine continuité dans les phrases. , bien plus adéquat dans la noirceur de Méduse que dans le rôle de Céphée, pourrait avoir une voix plus sonore encore, car il y paraît parfois un peu terne, et sans doute que la brillance du matériau vocal gagnerait à être plus exploitée. Enfin, en Phinée apporte un amour excessif et parfois trop heurtant quand il aurait été plus subtil d'être traître et un rien vicieux. Les chœurs n'appellent aucune réserve, et l'intimité de la salle permet d'en entendre jusqu'à l'articulation intelligible des paroles.

La mise en scène est un des attraits de ce spectacle, car elle tire quelque chose d'assez particulier dans le traitement qui est fait de la tragédie lyrique. Sans forcément porter cela à son désavantage, il y a parfois un peu trop de facilité ou de vulgarité dans la noble expression des sentiments; il ne faut peut être sortir plumes, tuniques et dagues pour signifier nécessairement la présence d'un héros, mais les dégrader à se traîner par terre pour un atermoiement bien léger n'apporte que de l'excessivité et de la lourdeur au lieu de la sincérité. Dans la même teneur, les baisers langoureux semblent incongrus. Toutefois, le comique de l'acte III, entre les Gorgones et Méduse est assez bien rendu, et il y a de jolies idées concernant Persée, chanteur, mais parfois doublé par un danseur qui exprime les talents multiples qu'acquiert le demi-dieu quand il revêt les ailes offertes par Vulcain. En réalité, il est assez dommage que le manque de spontanéité (ces déhanchés à peu près permanents des hommes, des gestes stéréotypés Grand Opéra) dénote avec une vivacité voire une excitation incontrôlée. Il y a du sang bouillant là-dedans, même dans les moments d'apaisement.

Une très belle œuvre, remontée dans un lieu on ne peut plus destiné, avec une troupe plutôt adaptée, où la chorégraphie se mêle à la scénographie de façon inventive et baroque (dans le sens des irrégularités qu'elle comporte aussi) témoignent d'une façon originale de penser le genre de la tragédie lyrique.

Crédit photographique : Chris Enns et Mireille Asselin/ Mireille Asselin et © Bruce Zinger

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