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Éclats de Voix, de Florence Foster Jenkins à Claude Nougaro

Si le festival Éclats de Voix, qui s'étalait auparavant sur trois week-ends du mois de juin, a dû réduire la voilure à la suite d'importantes difficultés financières, l'édition 2014 retrouvait une belle santé et un format un peu plus important dans la semaine du 10 au 15 juin. Bien que la musique l'occupe largement à travers le chant, le festival demeure fidèle à ses origines en valorisant la voix dans tous ses états.

C'est ainsi que le dixième anniversaire de la disparition de Claude Nougaro fut célébré en deux soirées où la parole rythmée, squatté, cognée, s'associait au chant à part égale. Avec , qui fut longtemps l'un de ses musiciens, son ami Christian Laborde, auteur, diseur, poète, faisait revivre avec force les mots du troubadour jazzistique toulousain en évoquant les diverses étapes de son parcours et de nombreux souvenirs personnels communs. On retrouvait toute la vigueur du verbe nogarolien tout en regrettant parfois l'absence de ses mélodies devenues universelles.

Ambiance et ton différents trois jours plus tard avec « Les Demi-frères enchantent Nougaro ». Par ce spectacle créé à Avignon en 2013, Laurent Conoir et Medhi Bourayou parcourent l'œuvre du chanteur sous la forme d'une randonnée dans la montagne Nougaro en mettant en scène chaque chanson selon un humour souvent décalé, parfois un brin potache. La ferveur est présente, mais on ne comprend pas trop la parodie de Jean-Paul II pour illustrer le gospel Amstrong.

L'événement de ce 17e festival aura été sans aucun doute l'unique récital en France du contre-ténor allemand , venu avec sa femme la pianiste israélienne . Entre deux concerts à Rio de Janeiro et Londres, retrouvait la scène du joli théâtre à l'italienne d'Auch, dix-sept ans après un mémorable récital consacré aux folksongs anglaises avec le luthiste Andreas Martin.

Emboîtant le pas à ses confrères Paul Esswood, Derek Lee Ragin, Bejun Mehta ou Philippe Jaroussky, le contre-ténor s'éloigne de ses terres baroques de prédilection pour  une heureuse incursion dans le monde intime du lied, comme il s'était approché de la mélodie anglaise. Il n'y a là rien d'exotique tant il maîtrise l'art du mot et tisse un lien profond avec le texte.

Dès les premières syllabes des trois canzonets anglaises de Haydn, dues à la plume de son amie Ann Hunter se consolant de son veuvage du chirurgien John Hunter, on est séduit pas sa diction superlative ciselant chaque nuance. Ses Schubert délicieux sont d'un naturel absolu avec une sincérité totale et une pureté d'élocution confondante. Non seulement il y est chez lui, mais il sublime la mélodie allemande. Les pianissimo les plus subtils sont parfaitement timbrés, d'une façon qui rappelle son aîné Alfred Deller. Avec une belle expressivité, il chante même baryton en voix de poitrine en incarnant la mort dans le dialogue Der Tod und das Mädchen (La jeune fille et la mort) ou annonçant l'arrivée du fossoyeur pour Der Jüngling auf dem Hügel (L'adolescent sur la colline). On aurait pu craindre l'artifice ou la sophistication dans les lieder de Brahms plus sombres et brumeux, mais ils deviennent douce ballade en demie teinte. On goûte au plus haut point la douceur mélancolique de In stille Nacht, zur ersten Wacht (Dans la nuit calme, à la première garde), ainsi que le superbe phrasé des rares Mozart Das Veilchen (La Violette) et Abendempfindung (Sentiment vespéral).

D'une belle présence à la fois discrète, le subtil accompagnement de n'est pas en reste. Son toucher articulé et ses couleurs veloutées sont délectables, tant dans la poésie des lieder que pour deux pièces solo, la Valse op. 18 N° 6 D 145, adorable miniature et l'Intermezzo op. 118 N° 2 de Brahms, plus ambitieux.

Et pour clore ce récital d'anthologie, élargit son répertoire à la musique de variété, ne dédaignant pas de composer des pièces de pop symphonique. Il gratifie le public d'une autre version du célèbre poème romantique anonyme In stiller Nacht, zurz ersten Warcht orchestrée par le compositeur et arrangeur israélien Idan Raichel, avant de conclure sur un chant hébreu à deux voix pour lequel lui donne la réplique.

Le samedi soir, la cathédrale Sainte-Marie d'Auch, chef-d'œuvre d'art gothique finissant, dont on célèbre le cinq centième anniversaire des vitraux réalisés par le maître Arnaut de Moles, affichait complet pour deux tubes du répertoire baroque par l'Ensemble et le chœur baroque de Toulouse, sous la direction passionnée de . Les redoutables notes piquées de la trompette naturelle (Patrick Pagès, juste et engagé), qui ouvrent le Gloria RV 589 de Vivaldi selon un tempo vif, impressionnent toujours le public qui se retrouve en terrain connu. dirige cette page célèbre avec clarté, tandis que les timbres de la soprano et de l'alto s'unissent en une belle adéquation dans le Laudamus te. Si les basses semblent un peu justes, le chœur amateur, soutenu par les cordes et les cuivres de la formation baroque toulousaine, chante avec ferveur.

Le concert change d'aspect et de nature avec la cantate BWV 147 Herz und Mund und Tat und Leben de Johann Sebastian Bach, puisque exporte à Auch son concept original de « Cantate sans filet », qu'il développe depuis plusieurs années à Toulouse, ainsi qu'à Besançon et Montbéliard avec « Come Bach ». Il s'agit d'un concert pédagogique et interactif où l'œuvre est présentée en détail, dans son contexte et air par air, sous forme de répétition pendant laquelle le public est invité à apprendre le choral puis à le  chanter avec les musiciens lors de l'interprétation en concert. Exercice naturel dans les pays luthériens germaniques où le public, qui a la musique dans les gènes, se lève spontanément pour le choral qu'il connaît par cœur, mais la démarche est plus exotique dans nos régions méridionales. Le succès de l'expérience toulousaine ne cesse de croître et l'église Saint-Exupère, qui accueille cette rencontre bimestrielle, s'avère souvent trop exigüe.

Nous sommes seulement dans l'esprit des « Cantates sans filet »,  car il ne s'agit que de la première partie de cette cantate mariale composée pour la fête de la Visitation où le choral médian « Wohl mir, dass ich Jesum habe » (Heureux que je suis moi qui ai Jésus) devient final, alors que la célèbre même mélodie proclame « Jesus bleibet meine Freunde » (Jésus demeure ma joie) pour le choral conclusif. Il faut dire qu'en 1723 à Leipzig, les deux parties de la cantate étaient séparées par le sermon et si Michel Brun plaide avec passion la cause de la musique de Bach, il ne saurait être pasteur pour autant. Cela fonctionne au-delà de toute espérance car surpris par la démarche, le public s'y prête avec bonheur et ça chante plutôt bien dans la cathédrale auscitaine.

Avec les mêmes réserves que pour Vivaldi quant au chœur, l' montre une fois de plus une maîtrise achevée et sa grande affinité avec la musique du Cantor. On goûte l'aria pour alto « Schäme dichn o Seele, nicht » (N'aie pas honte, ô mon âme) avec hautbois da caccia, délivré avec délicatesse par et plus encore l'aria « Bereite dir, Jesus, noch itzo die Bahn » (Dès à présent, Ô Jésus, prépare-toi la voie) avec violon obligé, que illumine de pureté.

La dernière journée de ce 17e festival était consacrée au théâtre musical avec deux ouvrages de caractères bien différents. Alors que le la Gascogne se souvient de son héros tutélaire D'Artagnan, bien qu'il n'y vécut que son enfance, la création des Trois Mousquetaires de , tient plus de la comédie musicale, avec de nombreux choristes enfants et figurants et des moyens beaucoup plus modestes qu'au Châtelet. Autour de l'épisode des ferrets de la reine, librement adapté du célèbre roman d'Alexandre Dumas, l'idée est de mettre en scène et faire chanter des enfants sur des refrains et des mélodies plutôt bien troussées de , qui est orfèvre en la matière. C'est très pédagogique,  ça fonctionne bien et enchante les parents qui remplissent la salle, ravis de voir leur progéniture sur scène. La mise en scène favorise les mouvements d'ensemble selon une vision cinématographique, qui inspire aussi la musique. Le motif de D'Artagnan rappelle quelque peu le thème le Thierry la Fronde aux quinquagénaires…

Puis la pièce de Stephen Temperley, adaptée en français par Stéphane Laporte, Colorature, Mrs Jenkins et son pianiste, présente un traitement musical particulier, qui a son intérêt. C'est l'histoire de la fameuse millionnaire Florence Foster-Jenkins, qui remplissait les salles new yorkaises d'un public hilare devant l'ingratitude et la fausseté de sa voix, racontée vingt ans plus tard par son pianiste. La candeur et la sincérité du personnage la rendent attachante et même si le pianiste avait besoin de travailler, il y a de la tendresse dans sa façon de protéger sa patronne. Outre un acteur de talent, est un vrai musicien et , qui est chanteuse et actrice, réalise un véritable tour de force de chanter faux selon une telle constance. Elle explique qu'elle travaille comme s'il s'agissait de musique contemporaine et au bout de 240 représentations, ils parviennent encore à se surprendre l'un l'autre. Ils jouent magnifiquement, mais par pitié pour la voix d', il lui est épargné de massacrer l'air de la Reine de la nuit et l'on entend la véritable voix de Mrs Foster-Jenkins à travers le fameux disque qu'elle a enregistré dans les années quarante et que la radio nous passe de temps à autre.

Plaisir d'un festival renaissant, qui a toujours fait de la diversité sa marque de fabrique. Le directeur artistique Patrick de Chirée nous promet d'ores et déjà d'autres surprises pour l'an prochain.

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