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Mahagonny noyée dans les froufrous à Berlin

Parmi les chefs-d'œuvre du répertoire lyrique produits en Allemagne dans le premier tiers du siècle précédent, Mahagonny n'est pas celui qu'on citera spontanément en premier lieu. 

Moins populaire que les opéras de Strauss, moins novateur que Wozzek, Lulu ou Moses und Aron, l'opéra de Brecht et Weill souffre en quelque sorte d'être trop divertissant pour pouvoir être pris au sérieux, ce qui le prive d'une place un peu plus large à l'affiche des grandes maisons d'opéra : à Berlin, pourtant, l'œuvre est un peu moins rare, ce qui n'est pas anormal dans la ville pour laquelle il a été écrit (même si la création a finalement eu lieu à Leipzig) et qui est pleine encore du souvenir de cette période d'intense créativité artistique.

La nouvelle production de la Staatsoper, confiée à une équipe française très active en Allemagne, ne contribuera pourtant pas à restaurer la dignité lésée de Mahagonny. La faute en est aussi bien à la fosse qu'à la scène. Comme on pouvait le craindre, la mise en scène n'est qu'un prétexte à montrer la créativité de , dont les costumes ont sans doute dévoré l'essentiel du budget disponible : Lacroix a peut-être été un grand couturier, il n'a jamais réussi à montrer ses compétences en matière de costumes de scène, que ce soit au ballet ou à l'opéra. Dans ce cas précis, on peut à vrai dire se demander s'il a vraiment essayé : il ne suffit pas de dérouler des mètres et des mètres de textile et de les munir de paillettes pour créer un costume de théâtre. Brecht et Weill jouent de façon virtuose avec la vulgarité, Boussard et Lacroix se contentent quant à eux d'une vulgarité au premier degré, et cette manière de faire purement décorative violente une partition dont la force critique devrait pourtant sauter au visage du monde de 2014 comme autrefois du monde de 1930. Il est peut-être dans l'air du temps de dépolitiser sans pitié toute oeuvre d'art qui oserait prétendre à autre chose qu'au divertissement sans prétention ; ce n'en est pas moins, pour un metteur en scène d'opéra, une forme de lâcheté impardonnable.

Dans la fosse, montre quand à lui son intention de prendre au sérieux la partition de Weill. Trop au sérieux, même : il n'y a aucune vie dans cette battue métronomique, qui ne crée jamais de contraste, ne laisse pas la place à l'ironie et manque cruellement de sens du théâtre, avec une tendance mortifère à la lenteur. Les chanteurs, dans ces conditions, ne sont guère à la fête ; le chef ne les bouscule pas, certes, mais il ne les aides certes pas non plus à créer du théâtre. Même , avec sa formidable expérience de la scène, reste trop en demi-teinte pour véritablement marquer les esprits ; seul dans le rôle principal, avec une voix idéalement héroïque, parvient-il à s'imposer, sans nécessairement approfondir le rôle autant qu'on le souhaiterait. Les autres chanteurs ne font qu'assurer l'essentiel. , jeune chanteuse membre de la troupe berlinoise, est beaucoup trop prudente dans le rôle pourtant payant de Jenny Hill, et sa voix tend à une acidité peu compatible avec son rôle de rentable séductrice. Les différents comparses, compagnons de Jim ou complices de la veuve Begbick, sont confondus dans un anonymat honorable mais profond. Profond comme l'ennui irrépressible que suscite cette soirée entre compromission artistique et manque de courage interprétatif.

Crédit photographique : © Matthias Baus

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