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À Genève, La Wally sans âme

Pour clore sa saison, le Grand Théâtre de Genève offre à son public La Wally, l'ultime opéra du compositeur italien .

On a souvent dit que Catalani s'était inspiré de Richard Wagner pour sa composition. Si l'utilisation de quelques leitmotiv peut faire penser à une certaine influence wagnérienne, ils semblent être ici employés plus simplement comme un moyen musical aisé pour souligner le caractère des protagonistes. La Wally nous restitue d'abord un compositeur profondément italien et avec une musique s'inscrivant dans la tradition de ceux de son époque. Tout au plus remarque-t-on un désir du compositeur pour se détacher du système aria-récitatif-aria comme on le trouvait encore chez Verdi. Quoique n'atteignant pas les sommets de ses contemporains, la partition de Catalani mérite l'écoute tant sa musique est dense et riche d'harmonie. À noter que le plus wagnérien des opéras de Verdi (Falstaff) ne fut créé que l'année suivante de la création de La Wally à La Scala. Cette même année où Puccini créa Manon Lescaut.

Ce n'est donc pas à cause de sa musique que La Wally demeure le parent pauvre de l'art lyrique. Un livret quelque peu stérile, une intrigue qui rapidement perd de son intérêt, des mœurs difficilement transposables à notre époque rendent le récit suranné, voir dépassé. Ne reste donc à un metteur en scène qu'à s'en tenir à raconter une querelle villageoise issue de la tradition. Mais tradition n'exclut pas la caractérisation des personnages, ni la direction des acteurs. Or, dans ce spectacle, rien de tout cela. Pire. Alors qu'on peine à entrer dans l'intrigue, on n'a rien trouvé de mieux que de nous en sortir lorsque entre le premier et le second acte, on change le décor à rideau ouvert. Ou mieux encore, alors que l'orchestre joue le très bel intermède du troisième acte, on parasite ce superbe moment musical en faisant défiler des personnages, apparemment ivres, sur le devant et les côtés de la scène. Plus tard, on descendra des nuages depuis les cintres, on bougera les rochers. Des parasitages qui, à l'image de cet inutile et incompréhensible panoramique signalant la hauteur des sommets entourant le village de Sölden placé devant le beau décor montagneux d', n'amène rien au spectacle. Que veut-on raconter ?

En cherchant ailleurs que dans cette histoire presque banale, le metteur en scène ne puise pas l'émotion qu'on attend d'un opéra dans l'investissement scénique de ses acteurs. Pourquoi ne les prend-il pas pour ce qu'ils sont et non pour ce qu'il voudrait qu'ils soient ? Ce faisant, il passe à côté du sujet. Il tombe dans la convention. Avec ses protagonistes pour la plupart peu concernés, jamais on ne participe ni on ne croit à la passion qui les anime.

Certes, l'exaltation humaine dans un village du Tyrol en 1800 n'est en rien comparable à celle de jeunes gens qui de nos jours assistent, par exemple, à des festivals rock. Faut-il pour autant représenter ces villageois d'alors comme des empotés maladroits et figés ? Quand on connait, outre leurs capacités musicales, le talent théâtral du chœur du Grand Théâtre de Genève, on s'étonne que apporte si peu de soin à l'interprétation scénique de cet ensemble. D'autre part, si les mœurs amoureuses de l'époque sont différentes de celles de notre temps, les critères amoureux, ses messages demeurent inchangés. Alors comme aujourd'hui, qui aime, qui déteste, fait face à son antagoniste et s'investit dans ses déclarations. Or ici, rien de tel.

Non pas que vocalement la soprano (Wally) ne soit pas à la hauteur de son rôle. La voix est belle, les aigus faciles, mais malheureusement, même dans l'admirable et fameux « Ebben, me ne andro lontana » du premier acte, elle ne réussit qu'à nous gratifier d'une belle mélodie et non d'un air déchirant que Wally lance en décidant de quitter le cocon de son village. Peut-être qu'à cause des scènes terribles du dernier acte qui l'attendent, a-t-elle voulu contrôler son interprétation. Est-ce bien le message d'une véritable artiste ? Le baryton (Vincenzo Gellner) possède une voix chargée d'harmoniques du plus bel effet. Elle ne suffit pourtant pas à cacher un jeu d'acteur si limité qu'il ne donne jamais la mesure de sa passion amoureuse. Dans leurs duos, chacun chante pour soi. Les notes sont là, mais les gestes sont gauches et l'émotion absente. De son côté, le ténor (Giuseppe Hagenbach) essaye de tirer la couverture à lui en faisant profiter le public de la puissance de son instrument vocal. Mais, dénué de sensibilité, rares sont les moments où on l'entend nuancer son chant. De plus, avec une diction italienne inintelligible, il donne l'impression de ne pas savoir ce qu'il raconte. Dans l'exagération de puissance, son chant prend des accents d'une grande vulgarité dans cette partition qui se veut profondément romantique. (Admettons que Mario del Monaco ne faisait guère mieux dans l'enregistrement de 1953 aux côtés d'une sublime Renata Tebaldi). Alors quoi ?

Alors qu'on peut attendre à ce qu'un spectacle d'opéra fasse rêver, comme un souper que l'on fait dans un grand restaurant, on ne reçoit qu'un quelconque repas. Un spectacle moyen sans plus. Une Wally sans âme couronnée par un qui ne paraît pas au mieux de sa forme dirigé par un imprécis.

Crédit photographique : (Wally) ; (Giuseppe Hagenbach), (Walter). © GTG/ Carole Parodi.

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