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Portait de la compositrice Michèle Reverdy : entre imagination et obstination

Cette première monographie consacrée à la compositrice (née en 1943) est le fruit d'un travail à deux têtes – et – mené dans un souci de distance critique et de « neutralité intellectuelle » que les auteurs se sont efforcés de préserver face à la tâche exaltante autant que difficile consistant à cerner la personnalité, l'œuvre et la pensée d'un compositeur vivant.

Richement documenté – insérant notamment deux feuillets iconographiques somptueux – l'ouvrage lève le voile sur une musicienne hors norme, élève d'Olivier Messiaen et de Claude Ballif au Conservatoire de la rue de Madrid – qui va devoir percer le mystère de ses origines avant de s'engager, en aventurière tout azimut, dans une voie créatrice personnelle qui met à distance la raideur des Avant-gardes – un « esprit Boulez » trop formaliste à son goût – et la synthèse molle des Post-modernes, sans pour autant rallier le courant spectral : « Ni sérielle, ni tonale, ni modale, ma musique adopte généralement une trajectoire de type dramatique » souligne la compositrice qui refuse tout embrigadement stylistique. L'attitude est des plus courageuses et des plus obstinées aussi – la qualité première du compositeur ! – qui l'amène, entre rigueur et intuition, à « tracer son propre sillon », fertilisé par une curiosité sans borne et une véritable passion pour la peinture et la littérature qui orientent les choix de la compositrice et suscitent des correspondances structurelles. Son catalogue – quelques 75 opus répertoriés en annexe de l'ouvrage –  mentionne pratiquement tous les genres musicaux, qu'elle aborde en amoureuse du timbre et des textures colorées de l'orchestre. Son goût très sûr de la littérature et du théâtre nourrit un abondant répertoire vocal et débouche bien évidemment sur l'opéra. Si Le Château d'après Kafka (1980-1986), écrit durant son séjour à la Casa de Vélasquez, reste aujourd'hui encore dans les tiroirs, obtient des commandes prestigieuses – la Biennale de Munich pour le Précepteur (1990), l'Opéra de Lyon pour Médée (2002)… – qui lui permettent d'assouvir son élan dramaturgique à travers cinq ouvrages lyriques d'envergure, lui assurant une reconnaissance internationale.

Sous la plume élégante et lumineuse de ses auteurs, et avec une rigueur méthodologique exemplaire, l'ouvrage en quatre chapitres dessine une trajectoire créatrice extrêmement attachante – de l'enfance à la maturité d'abord – étayée de textes, commentaires et documents divers provenant des archives personnelles de , qui viennent relancer très pertinemment le propos des deux premières parties. Sans jamais verser dans l'étude analytique toujours redoutable, le troisième chapitre – « Laboratoire de composition » – scrute les partitions sous différents angles (harmonique, structurel, orchestral, vocal) en donnant quelques clés techniques dûment illustrées, à la faveur notamment des carnets de composition en couleurs, scrupuleusement établis par la compositrice pour chacune de ses œuvres.

Le « portrait » de Michèle Reverdy, personnalité férue d'écriture littéraire et d'analyse musicale, se referme sur son activité boulimique de passeur, entre pédagogie (elle est professeur honoraire d'analyse musicale et d'orchestration au CNSMDP), production radiophonique (à France Musique et France Culture), conférences et écrits sur la musique, autant de filières témoignant du rayonnement de sa pensée et d'un ancrage au monde qu'elle sollicite face à la nécessaire solitude du créateur.

« Composer », écrit Christian Doumet dans sa remarquable préface, « revient en somme à rêver non pas un objet, mais notre relation inépuisable, incernable, à la totalité »; on ne saurait mieux formuler le travail créateur, toujours en devenir, de Michèle Reverdy.

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