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Choré : La danse comme ultime discours

Choré, ou comment parler de choses graves avec légèreté. n'est jamais à court d'idées. Celui qui est devenu, en vingt ans, une figure majeure de la création sur le rocher, nous présente ce soir Choré, un ballet en cinq tableaux dont la première a eu lieu le 25 avril 2013 à Monaco.

Maillot signe ici une œuvre intrigante et audacieuse, très libre dans son écriture et dans sa mise en scène. Il bouscule les codes et mélange une somme d'images très importante autour d'un fil conducteur : la comédie musicale. Si le ballet évoque certains aspects de cette dernière, il n'en reprend pas les codes formels. Il n'y a ainsi ni claquettes, ni chapeaux hauts-de-forme dans l'œuvre de Maillot. La comédie musicale est en fait utilisée comme un prétexte pour proposer une réflexion sur l'évolution de la danse.

La séquence d'ouverture, qui porte le nom évocateur de Splendeur et misères, bénéficie d'une esthétique irréprochable. Le couple vêtu de noir et sans visage qui tourbillonne sur la musique grave et profonde du compositeur américain Danny Elfman convoque sur scène l'âge d'or de la comédie musicale américaine, au travers des figures de Fred Astaire et Ginger Rogers. Il y a du tragique dans cette scène et les choses ne sont peut-être pas ce qu'elles paraissent. La grande dépression, que décrira si bien John Steinbeck dans Les raisins de la colère, n'est pas loin.

Les analogies entre le ballet de Maillot et l'œuvre du romancier américain sont d'ailleurs saillantes. D'abord en ce que les deux œuvres constituent une formidable élégie sur la capacité de résistance de l'être humain face au pire (les troisième et quatrième séquences du ballet, intitulées La Guerre est déclarée ! et Paysages de cendres, en constituent une illustration réussie). Ensuite en ce qu'elles dépeignent la transformation d'une civilisation qui quitte un monde de traditions pour s'inscrire dans celui de la modernité.

Certains moments se révèlent mémorables, tel le bouleversant solo de , silhouette effarée et sublime qui nous conte l'anéantissement et la mort. Le tableau dans lequel deux danseuses volent sur le plateau, s'opposant à la gravité du monde extérieur, s'avère également marquant.


Le dernier tableau, sorte de feu d'artifice final comme les affectionne Maillot, nous montre que la danse obéit à une pulsion, à un élan vital : quand il ne reste plus rien, seul le rythme demeure.

Du début à la fin du ballet, une silhouette nous happe : celle de , qui se montre époustouflante dans chacun des tableaux. Le reste de la troupe n'est pas en reste et on relèvera le haut niveau de cette compagnie protéiforme aux personnalités bien affirmées.

On notera également le soin accordé à chaque détail du ballet. Pour cette création, Maillot s'est en effet entouré d'une équipe de qualité : Jean Rouaud signe l'argument du ballet, Philippe Guillotel a créé les costumes, Dominique Drillot est en charge de la scénographie et des lumières (un parti pris abstrait et épuré et de très bonnes idées, notamment l'emploi d'un miroir réfléchissant).

Les musiques, composées par Danny Elfman, Bertrand Maillot, et Daniel Ciampolini, constituent l'un des fers de lance du ballet et collent parfaitement au propos du chorégraphe. La section qui traite de la guerre est par exemple accompagnée d'une structure musicale qui imite le sifflement d'une bombe qui n'atteint jamais le sol. La voix d'un narrateur nous guide de bout en bout du spectacle, voix grave, visionnaire et étrangement apaisante.

Avec Choré, Maillot réinvente ce que la danse devrait préserver à tout prix : l'audace. A 54 ans, le chorégraphe garde une âme d'explorateur.

Crédit photographique : Les  / Hans Gerritsen

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