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Odile Jutten joue l’orgue d’Epernay avant et après restauration

Il est rare de découvrir un album qui nous propose d'entendre un orgue historique à deux périodes de son histoire.

C'est ce que nous propose ici l'organiste qui par chance avait enregistré cet instrument en 1986. Il s'agit là d'un magnifique spécimen du grand facteur Cavaillé-Coll édifié à la fin des années 1860 grâce au mécénat du Comte Paul Chandon de Brailles. Un orgue complet de 34 jeux sur 3 claviers et pédalier édifié dans un buffet neuf. Par la suite et malgré une histoire quelque peu mouvementée, par faits de guerre, l'orgue avait conservé globalement son état d'origine. De 2000 à 2002, c'est Bernard Hurvy, facteur nantais qui a restitué consciencieusement l'orgue initial. Déjà à l'époque d'ailleurs, Cavaillé-Coll avait dépêché son meilleur harmoniste Felix Reinburg, dont il disait de lui qu'il était un artiste hors ligne : « Il y a chez lui la poésie innée du son de l'orgue ».

L'écoute des deux périodes permet de mettre en évidence un certain néo-classicisme dans le son de l'orgue avant la restauration, c'est à dire cette tendance à revenir à un son plus classique voire baroque, en privilégiant souvent des sons plus aigus. Pour autant, les pièces de Saint-Saëns font ici merveille, et sonnent déjà magnifiquement. Peu jouées, l'auditeur les découvrira avec intérêt, les interprétant avec beaucoup de virtuosité et de liberté. Ceci constitue le deuxième CD reprenant le microsillon de 1986 d'une durée assez courte de 38 minutes environ.

Le CD principal capté après la restauration de 2002 offre un programme judicieux où se confrontent Franck et Liszt. Belle rencontre au sommet où tout peut les rapprocher comme les éloigner, mais qui met en tout cas en évidence les nombreuses facettes musicales et organistiques du temps et de cet instrument d'exception. Les deux géants se connaissaient : imaginons encore cette rencontre de Franck jouant le B.A.C.H. de Liszt devant son auteur à l'orgue de Sainte Clotilde à Paris… La palette sonore de Cavaillé-Coll reste idéale pour Franck, avec quatre pièces parmi les douze composées pour grand orgue. On entend là tout simplement une référence sonore et interprétative.

Liszt lui, suit d'autre chemins, à la fois avant-gardiste, mais aussi pédagogue transcripteur acharné, avec ici quelques exemples dont ces extraits étonnants de la Dante Symphonie . On en vient même à remarquer que c'est sur de tels orgues que Liszt sonne le mieux, sans doute du fait de la perfection harmonique de l'orgue que certains instruments allemands ont parfois peine à surpasser. Le jeu inspiré d' y contribue grandement par une aisance naturelle, ainsi qu'une prise de son qui donne un bon recul à l'orgue, gardant ainsi une grande part de ses mystères.

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