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Grand soir médiéval à l’Abbaye de Royaumont

Lieu de spiritualité et de recherche, voué à l'activité artistique et culturelle tous azimuts, la Fondation Royaumont fête en cette année 2014 ses cinquante ans d'existence. 

Les ensembles invités pour ce grand soir médiéval décliné en trois concerts ont tous noué des liens étroits avec ce lieu d'élection. y a créé en 1984 un programme de recherche sur l'interprétation des musiques médiévales devenu le CERIMM (Centre Européen pour la Recherche sur l'Interprétation des Musiques Médiévales) qu'il va diriger jusqu'en 1999 tandis que l' de y achève une résidence de travail de quatre années.

Le programme judicieusement élaboré que proposait l' (auquel s'associait ce soir les huit chanteuses de la ) se fixait sur les polyphonies du XIIIème siècle et l'Office de Saint Louis (1214-1270), roi dont on célèbre cette année le 800e anniversaire de la naissance. On peut s'étonner d'entendre le répertoire religieux chanté par des voix de femmes; mais on sait aussi que les nonnes chantaient et dansaient au couvent même si elles y étaient beaucoup moins en représentation que les moines.

Ainsi des pièces monodiques de plain-chant liées à la liturgie (Antiennes et Répons) alternaient-elles avec des compositions rythmées et versifiées beaucoup plus alertes (Hymnes, Conduits et Séquences) écrites souvent à deux voix. Les interprètes, qui arrivaient sur scène en chantant, exploitaient au maximum l'espace scénique du Réfectoire des moines en modifiant constamment le dispositif vocal et en choisissant la pratique du chant alterné (antiphonie) ou responsorial (soliste et choeur). On appréciait tout du long la qualité des voix, la plénitude des timbres et la conduite exemplaire d'une polyphonie réduite encore à deux voix mais richement déployée dans cet espace de résonance.

Chacune des pièces vocales était introduite par des extraits du Speculum majus, somme de textes encyclopédiques du XIIIe siècle que l'on doit au frère dominicain Vincent de Beauvais; ils donnaient un éclairage spirituel autant que profond à ce « grand siècle classique » du Moyen-âge somptueusement illustré ce soir par l' et les voix de la .


On ne présente plus et son , fondé en 1982, qui entretient depuis plus de trente ans la mémoire du chant ecclésiastique chrétien dans ses relations riches et complexes avec l'Orient.

La première partie de la « Nuit médiévale », qui allait s'attarder jusqu'à minuit, était intitulée « Les Extrêmes »: de l'Antiquité tardive (IVème et Vème siècle de l'âge chrétien) à la Renaissance (XVème et XVIème siècles), au fil d'un programme invitant douze voix mixtes. A côté du chant soufie (samaa) interprété en soliste et avec une virtuosité ornementale confondante, par le chanteur marocain Ahmed Saher, le programme réunissait des pièces de chant chrétien très proche de l'influence byzantine (bénéventain et vieux-romain) ou imprégné de traditions orientales (chant mozarabe des XVème et XVIème siècle). Dans l'interprétation très personnelle qu'en donne l', la ligne de chant y est toujours richement ornée, évoluant selon des inflexions microtonales et soutenue ici par de magnifiques « bourdons » résonnant dans le grave abyssal des voix de basses. Chantre très inspiré, entrainait ensuite le choeur d'hommes dans un très beau chant responsorial, Alleluia: beatus homo. Hommes et femmes se réunissaient enfin autour du manuscrit géant d' pour chanter à pleine voix, et avec cette manière si particulière d'attaquer les sons, la polyphonie renaissante du Kyrie et du Sanctus pour les Défunts.

La seconde partie de cette Nuit médiévale intitulée « La voix des songes » élargissait d'autant les horizons avec le répertoire corse profane et religieux des XVIème et XVIIème siècles – une autre spécialité de l'ensemble. Le programme incluait également deux compositions de Marcel Pérès lui-même et une pièce d'orgue interprétée sur une copie d'un instrument du XIème siècle remis à l'honneur par l': « les tuyaux sont en cuivre, les claviers à tirettes, les soufflets sont des outres actionnées par trois souffleurs… » lit-on dans la notice de programme. La sonorité très chaude et plutôt intimiste de l'instrument se rapproche très étonnamment de celles des voix. Donné de la galerie par les voix de femmes, Toi qui t'absentes de la parole de Marcel Pérès est un curieux motet polytextuel qui entrelace les voix de la polyphonie dans un mouvement circulaire et obstiné. Dans l'interprétation très habitée de , on entendait, juste avant, Le sette galere, un chant corse de tradition orale – soutenu par le traditionnel bourdon – qui a été retrouvé dans un grenier sur un vieux cahier d'écolier. Mais la pièce maîtresse qui, même à l'heure tardive de son exécution, envoûta le public, fut cet Alleluia au refrain très pulsé dont chaque verset emprunte à l'une des trois traditions, mozarabe, bysantine et marocaine; au centre du groupe d'hommes, Marcel Pérès assurait l'articulation des diverses séquences de cette pièce jubilatoire qui, sous l'effet des répétitions, touchait à la transe.

Photos : Dialogos © Agathe Poupeney ; Ensemble Organum © Pouyfourcat

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