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Les contes de fées assassinés de Laura Scozzi

La chorégraphe milanaise , danseuse, formée à la sociologie, à la photographie et au mime, a créé sa compagnie Opinioni in movimento en 1994, entrelaçant danse, chant, théâtre, etc. Et mène en parallèle une carrière indépendante, de metteur en scène d'opéra (les Indes galantes, cette année), de chorégraphe de film (pour Coline Serreau notamment) et fait se télescoper danse contemporaine et hip hop en créant dans le cadre de Suresnes Cités Danse.  Cela donne Barbe-Neige et les sept petits cochons au Bois Dormant.

Pour sa création 2014, texturise, sur du Paganini, entrecoupé de musique techno-trash ou d'un relent de Peter et Sloane, les corps souples de huit break danseurs déjantés, se mouvant tels du chewing-gum savoureux, rose bonbon, vert, bleu ou jaune francs, sur une scène convertie en terrain de jeu sérieux, où les contes de fée en prennent pour leur grade. Que se serait-il passé si la Belle au Bois Dormant ne s'était pas réveillée, si Cendrillon n'avait pas perdu sa pantoufle mais une basket, une jambe ou un bébé ? Inutile de passer par la case Psychanalyse des contes de fées de Bettelheim (rappelons-en le titre original : The Uses of Enchantment) pour comprendre comment la chorégraphe mésuse ici des dits contes fondateurs du myhe de l'homme idéal ! Notre imaginaire nourri d'histoires de princes charmants et de fées a bien besoin de revoir à la hausse ses clichés et de les travestir, au sens propre comme au figuré ici. Comme le suggère le titre-valise de la pièce, le bagage est lourd.

Fous rires sporadiques, ça déménage et voyage dans un univers dysneyien dynamité !

Un ours traverse la salle devant la scène, un petit sac à provision à la main, il revient, puis repart, mince il avait oublié le pain. Sur ce registre absurde et quotidien, tisse une histoire de princesses qui se gaussent bruyamment de princes à l'air benêt, dont la coiffe s'apparente à un bonnet de douche, et enfourchent, gauches, un cheval imaginaire. Les mimes sont hilarants, les situations cocasses, sept Blanche Neige manient la hache et poursuivent de leurs avances un nain, qui finira par croquer la pomme devenue aphrodisiaque. Le prince charmant, c'est du pipeau, Barbe bleu, un psychopathe macho crooner qui donne des bleus, le loup, un frimeur, tenu en laisse finalement par un chaperon rouge masculin à talons rouges vernis, l'ours un donneur de coup de boule pour se venger d'un doigt  et pécheur de gros poisson docile suivant l'ours à la fin avec un petit sac à provision et qui, zut, a oublié le pain.

Jubilatoire ou pathétique brûlot féministe ?

C'est jubilatoire et pathétique à la fois : une Belle au Bois dormant à peine réveillée par un prince pas des moindres lui hurlant « Va me chercher une bière ! » s'en va « la queue basse », c'est le cas de le dire dans cette satire transgenre où les rêves d'enfants sont pulvérisés au chalumeau. Des rires fusent dans la salle quand la Belle décapite un faon rose pailleté du décor magique de Natacha Le Guen de Kerneizon, ou quand les abeilles de ce bestiaire délirant se mettent à sniffer frénétiquement le pollen de beaux lys rose bonbon. Les danseurs, breakers, époustouflants se donnent à deux cents pour cent dans des pas improbables, tordus, tordants et des mimiques drôlissimes. Quand Blanche Neige en macho, pieds sur la table basse, devant le foot, hurle en miroir au nain « Va me chercher une bière ! », la télé explose, la boucle est bouclée et ça fait du bien, au sens propre!

Photo : crédit Laurent Philippe

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