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La création française d’Aufgang de Pascal Dusapin

La grande salle de la Philharmonie de Paris affichait complet pour ce concert très attendu, mettant au programme, au côté de l'Orchestre Philharmonique et du Maître Chung, le très charismatique , dans la création française du concerto pour violon Aufgang de , un compositeur dont le calendrier 2015 est particulièrement chargé, anniversaire de ses 60 ans oblige. 

C'est dans le moule conventionnel du genre – en trois mouvements, certes fort éloignés des proportions classiques – que a conçu la forme de son concerto dont le titre Aufgang (« Elévation ») traduit tout à la fois la genèse un peu perturbée de l'oeuvre et l'élan vers la lumière qui doit la transcender.

De fait, le premier mouvement, assez court et bien conduit, se construit entièrement sur cette verticalité: les premières minutes sont d'une belle intensité, ouvrant un espace vertigineux, de l'extrême aigu du violon aux cordes graves, dans une temporalité étirée dont le compositeur a le secret. , pour qui le concerto a été écrit, joue son Guarnerius « à fond », avec une sûreté d'archet et un engagement de tous les instants; il se lance ensuite dans une partie beaucoup plus animée, presque rhapsodique dans ses tours et détours ornementaux vrillant l'espace du grave à l'aigu.

On s'étonne de la césure arbitraire – et désagréablement bruyante, 2400 auditeurs s'ébrouant d'autant… – entre cette belle introduction et l'ample second mouvement qui reprend là où nous laissait le premier. installe très rapidement un climat méditatif et tendu où s'épanche le chant du soliste, un rien sentimental, n'étaient ces quelques trouvailles modifiant habilement le paysage orchestral: les énigmatiques stell-drums d'abord, introduites un peu brutalement, qui colorent et dramatisent le discours; la flûte façon shakuhachi (flûte en roseau japonaise) ensuite  – radieuse qui mêle le souffle au son de sa flûte traversière. Elle nous fait plus sûrement basculer dans un temps oriental et dépaysant, où s'inscrit assez naturellement le contour modal de la ligne du violon. La cadence en double cordes, très occidentales celles-ci et tellement rebattues, qu'enchaîne ensuite le soliste gâche notre plaisir en effaçant subitement le mirage fugitif.

Le troisième mouvement déçoit, synthétisant le propos des deux autres en entretenant la virtuosité un peu vaine du violoniste et les formules « tape à l'oeil » des cuivres et des percussions sans véritables séductions sonores. Avec la même vaillance, réinvestit l'allure obsessionnelle de formules tournant sur elles-mêmes, avant un geste de coda, plus surprenant que convaincant, qui coupe court un peu abruptement.

Magnifiquement défendu par un soliste fougueux et un orchestre très réactif, Aufgang ménage  quelques beaux moments et comble de toute évidence les attentes d'un public qui retrouvait là ses marques dans l'univers de la création contemporaine, à la faveur d'un langage consensuel et de cadres plutôt traditionnels. Pour autant, il semblait ce soir que le souffle et la vision du compositeur des sept Solos pour orchestre s'y trouvaient un peu à l'étroit!

et l'Orchestre Philharmonique, qui investissaient pour la première fois les lieux de la Philharmonie, donnaient en seconde partie la Symphonie n°4 de , puissante synthèse d'une tradition germanique remontant à Jean-Sébastien Bach à qui le compositeur emprunte dans son dernier mouvement.

Abordé dans un tempo plutôt retenu, le premier mouvement peine à trouver son expansion, dans une acoustique pourtant très porteuse qui laisse s'épanouir si librement le son. Plutôt que de chercher une pâte sonore homogène, Maître Chung détaille l'articulation, soulignant une certaine rhétorique brahmsienne au détriment de l'élan et du souffle qui la transcendent. Il fait généreusement chanter les instruments de l'orchestre dans l'Andante moderato suivant, qui souffre cependant d'une trop grande fragmentation du discours. La forme contrainte du scherzo dans l'Allegro giocoso inspire d'avantage notre chef, trouvant ici le juste tempo et la bonne énergie dans un geste libéré laissant enfin apprécier la plénitude sonore de l'orchestre. Les trente variations sur le thème emprunté à la Cantate BWV 150 dans l'Allegro energico final sont conçues au sein d'une vaste architecture qui ne laisse d'impressionner. La conduite n'en est pas toujours irréprochable, avec des ralentissements et un pathos superflu au sein des cordes, mais la puissance orchestrale déployée dans ce bel espace réverbérant confinait à l'émotion.

Crédit photographie : Renaud Capuçon © Raolo Reversi

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