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Sokolov, le maître du piano

Six ans après son récital de Salzbourg, le cd restitue ce document indispensable à l'amateur des « grands » du piano comme à celui imbu de perfection musicale à tous les niveaux.

« Je ne joue que ce que j'ai envie de jouer » déclare le pianiste russe dans l'une de ses rares interviews. Une petite phrase qui en dit long sur l'esprit qui habite . Qu'on ne s'y trompe pas, il ne s'agit pas là d'une démonstration égocentrique d'un artiste. Qui a assisté à l'un de ses récitals peut en témoigner. Rien d'artificiel chez le pianiste russe. Fuyant la notoriété et la « pipolisation » de ces milieux comme la peste, ne vit que pour et par la musique. Peut-être même que s'il le pouvait, il s'abstiendrait de donner des récitals ayant déjà renoncé depuis de nombreuses années aux concerts avec orchestre. Par conséquent, la sortie d'un album de Grigory Sokolv est un événement.

Pourtant, depuis une vingtaine d'années, son agent enregistre systématiquement toutes les prestations de son poulain pour conserver ces moments exceptionnels. Des centaines d'heures de récitals que le pianiste réécoute pour en analyser la pertinence et la qualité musicales. Combien y a-t-il fallu de persuasion, de discussions pour qu'enfin six ans après l'événement accepte d'éditer le récital qu'il donna au Festival de Salzbourg.

Moments de sublimation avec la lecture des deux sonates peu connues en fa majeur de Mozart. Cela donne le frisson. Avec un toucher totalement dépouillé d'artifices, Sokolov porte la simplicité de l'écriture mozartienne aux sommets de la beauté. On restera suspendu à son l'adagio de la sonate KV 280 où le piano du maître russe exprime avec grâce et profondeur les couleurs sombres et émouvantes de la sicilienne comme on se régalera de l'explosivité joyeuse du presto de la sonate KV 232.

Avec les 24 Préludes op. 28 de Chopin, Sokolov offre une palette infinie de couleurs et de nuances, toujours enrichies d'incises même à l'intérieur des plus courtes pièces de ces préludes. Le toucher précis et mordant du pianiste fait ici merveille conférant à cette œuvre une articulation musicale parfaite et riche d'un charme inouï. Une musique totalement habitée.

La générosité de Grigory Sokolov n'est ici pas mise au trou puisque après cet imposant programme, il offre une quinzaine de minutes de bis où se côtoient de une brochette d'œuvres peu connues de compositeurs comme Scriabine, Rameau. Pour clore cet exceptionnel récital, le pianiste rejoint alors les hauteurs spirituelles avec un choral de Bach tiré du Orgelbüchlein. Sublime recueillement qui laisse l'auditeur sans voix.

Dans ce récital, Grigory Sokolov démontre, si besoin l'était, qu'il a atteint une dimension pianistique et musicale qui va au-delà de la technique, voir de l'interprétation. Habité d'un bout à l'autre de son récital, c'est l'image de la sérénité bienfaisante, de la plénitude qu'il offre à son auditoire. C'est un véritable cadeau de la nature qu'un tel récital ait vu le jour et c'en est un autre que de pouvoir le recevoir sous la forme de ce disque.

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