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A Genève, Porgy and Bess sans solistes

Grand succès populaire de la production américaine du New York Harlem Theater de Porgy and Bess de Georges Gershwin malgré l'absence de solistes à la hauteur de la réputation du Grand Théâtre de Genève.

Parfois le métier de critique n'est pas facile. Alors qu'un spectacle ne l'enchante guère et que, dans l'obscurité de la salle, il griffonne quelques notes qui serviront à préciser ses impressions dans son papier, dès le rideau tombé, il entend les bravos enthousiastes du public. Soudain, le doute s'installe. N'aurait-il pas entendu ce que le public a entendu ? N'aurait-il pas vu ce que le public a vu ?

C'est ce qu'a ressenti votre serviteur lors de ce Porgy and Bess proposé par le New-York Harlem Theater. Soyons clairs. L'opéra de Gershwin jouit auprès d'un large public d'une notoriété incontestable. Non pas spécialement pour son intrigue, mais pour les mélodies qui parsèment l'œuvre. Des mélodies que le jazz a repris à son compte pour en faire des standards. Ainsi en est-il de Summertime, de It ain't necesseraly so ou encore de I got plenty o'Nuttin ou encore I'm on my way. Alors, quand le public entend ces mélodies chantées dans leurs couleurs originales et qu'il les reconnaît, il a bien le droit d'être satisfait et content de sa soirée. Pour le critique, c'est bien là, que le bât blesse. Dans la distribution genevoise du New York Harlem Theater, la majorité des solistes n'étaient pas à la hauteur de ce qu'on peut attendre de la réputation d'une maison comme le Grand Théâtre de Genève.

A commencer par la basse (Porgy) dont le vibrato du registre grave dénote une profonde usure de la voix. En outre, la fatigue vocale qu'il accuse le rend presque aphone en fin de spectacle, se contentant alors de marquer la mélodie pour en terminer avec l'opéra. A ses côtés, la soprano (Bess) a une voix qui, hormis quelques beaux aigus, accuse un manque évident de puissance et de caractérisation pour le rôle. (Sportin' Life) remplit son rôle d'amuseur avec charisme. Il ne manque pas d'entrain mais, chez lui aussi le volume vocal fait défaut. Quant à (Maria), si elle est une actrice formidable, elle a l'habileté de sa présence scénique pour cacher une vocalité totalement perdue. Dans une moindre mesure, le charme de Heather Hill (Clara) sauve quelque peu ce plateau vocal insuffisant avec une voix de soprano éthérée et capable de magnifiques aigus qu'elle offre dans un Summertime aérien. Seule réelle voix soliste de toute cette distribution, la soprano (Serena) offre un instrument solide et admirablement conduit. Les accents « léontyne-pricien » de sa voix lui donne une couleur toute particulière et son My man's gone now tout comme son invocation au bon Docteur Jésus étaient des plus émouvants.

Dans cet opéra, l'écriture musicale de Gershwin offre la part belle aux ensembles choraux. C'est incontestablement dans ces moments que le spectacle est le plus vivant sinon le plus accompli. La puissance vocale des ensembles est impressionnante. Et l'on sent dans le chœur le plaisir de chanter. Le même plaisir qu'on admire dans les cultes des églises noires, dans les incantations proches de la transe. Il n'est qu'à voir les œillades, les sourires entendus échangés avec une ingénuité et une spontanéité extraordinaire pour s'en convaincre. Pendant ces ensembles, l'âme noire américaine s'exprime au mieux. Il n'existe personne comme eux pour balancer une telle musique, pour projeter une telle énergie. On communie alors au plaisir swinguant de la troupe. Ça danse, ça chante et ça bouge, ça entraine tout un chacun dans le rythme de la musique.

Dans des décors poussiéreux, accusant de sérieux signes de fatigue, l'intrigue raconte la saga d'une communauté noire du sud des Etats-Unis s'agitant dans des épisodes alternés de violence et de gaieté de ces villageois miséreux, au milieu desquelles on vit la passion d'un homme foncièrement honnête et bon, Porgy, avec une fille légère, Bess, accrochée à un voyou assassin. Pas de quoi susciter une mise en scène inventive. Elle se borne donc à placer les solistes et les choristes plus qu'à les faire jouer. Avec une telle troupe d'acteurs et de danseurs nés, capables en quelques gestes d'habiter la scène, il est presque inutile de vouloir les diriger. Mais peut-être que la qualité d'une mise en scène est-elle de ne pas la voir !

Dans la fosse, la baguette de William Barkhymer dirige un solide Orchestre du New York Harlem Theater très certainement rompu à la partition que cette tournée européenne lui a fait reprendre à maintes reprises.

Crédit photographique : ©Luciano Romano / Teatro San Carlo (Napoli) 2012

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