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Francesco Filidei chantre du presque rien

Centré autour de la personnalité de , en résidence à l' (cf. nos chroniques d'un concert et d'un livre), ce concert dirigé par mettait en perspective les univers aussi singuliers que contrastés de quatre jeunes compositeurs, observant – la chose n'est pas si commune – la stricte parité homme-femme !

Brève autant que fulgurante, Kesik (« Coupé ») renvoie à la ferveur de la musique traditionnelle dont la compositrice turque questionne les composantes : en introduisant, dans l'extrême grave de la tessiture, un hautbois soliste – Jean-Marc Liet, fascinant – dont l'écriture « détempérée » et les inflexions modales restituent le timbre d'un instrument populaire. Autour de cette mélodie qui gagne progressivement les aigus, l'environnement instrumental très coloré et réactif sous le geste de contribue à l'énergie et à l'intensité de cette courte transe.
Avec D'après de , on appréciait la qualité plastique du geste et du matériau de la compositrice italienne, qui veut fixer l'image auditive laissée par le son des cloches de la cathédrale de Fribourg-en-Brisgau. De cette musique de la sensation, des résonances diffuses et des sonorités filtrées, engendrant un travail tout en finesse, émanait un climat poétique fort bien restitué par et son ensemble.
Chez , c'est le rapport presque tactile au son qui crée d'emblée l'émotion. Sa Ballata n° 2 est un pur chef-d'œuvre à la matière ineffable et aux textures légères qui flottent dans l'air. Si la pièce réserve quelques moments d'humeur, d'un retentissement presque bruyant, le chant à fleur de lèvre qui sourd au cor – sublime Patrice Petitdidier – relève de l'esthétique de l'effleurement qu'exerce avec tant de subtilité ce chantre du « presque rien ».
Avant la création mondiale de la Ballata n° 4 du compositeur pisan, on entendait Act du jeune Américain . Sollicitant un dispositif électronique, la pièce fait référence à un « théâtre de relations » instauré entre une chanteuse sur le devant de la scène – étonnante – et l'ensemble instrumental qui réclame une mise en espace singulière. La dramaturgie tout en surprises et en rebondissements est liée aux interventions/surgissements de la chanteuse qui semblent agir au départ comme des signaux d'une stratégie secrète. La tension toujours réamorcée naît des rapports de force entre la voix et les différents groupes instrumentaux.

C'est en entendant la gambiste et compositrice autrichienne – fabuleuse musicienne qui était dans la fosse de Written on skin de George Benjamin – que conçoit l'idée d'une quatrième Ballata pour la viole de gambe soliste. L'œuvre, qui était donnée ce soir en création mondiale, revendique d'emblée son caractère théâtral, qui débute dans le silence, la violoniste et l'altiste debout, masquées par leur propre instrument… Comme il aime à le faire, le compositeur va souvent détourner le jeu de la viole de gambe qui émet davantage de sonorités grattées, filtrées, qui sont autant de gestes-sons à voir et à entendre. On est rapidement et agréablement immergé dans un univers bruité, traversé de souffles – les rhombes caressants – de rumeurs étranges, dans un temps tour à tour lisse ou pulsé. Tenue comme un instrument à vent, la viole de gambe devient bientôt une sorte de grande flûte éolienne – sous le souffle d' – faisant résonner par sympathie les tuyaux d'un orgue imaginaire, suggéré par le jeu des autres instruments. Ainsi va l'imagination foisonnante de ce concepteur hors norme qu'est Filidei, demandant à la soliste dans les dernières minutes de la pièce de se masquer à son tour avec la viole : l'idée, chez ce compositeur très habité, de confondre l'être et l'instrument dans un même « corps sonore ».

Crédits photographiques : © Moritz Schell

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