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Le retour d’Ivo Pogorelich à l’Arsenal de Metz

Sa technique, sa virtuosité et sa puissance titanesque sont aujourd'hui insurpassables. Mais Pogorelich est encore plus convaincant quand il laisse libre cours à sa sensibilité.

Lors de son premier concert à l'Arsenal de Metz, en mars 1989, avait interrompu son récital après avoir joué le premier des 24 Préludes de Chopin. Défaillance technique de l'instrument, selon ce perfectionniste du clavier qui avait ensuite enchaîné, sans entracte et sans la moindre interruption, les vingt-trois préludes restants et la Sonate en si mineur de Liszt. Exploit absolument sidérant !

Le programme donné mardi soir, d'une durée de près de deux heures, était bien plus ambitieux encore ! Avec en guise de préambule la redoutable Fantasia quasi sonata / Après une lecture de Dante de Liszt, Pogorelich affronte avec une facilité déconcertante les tourments et les dissonances d'une véritable plongée dans les Enfers. L'œuvre, il est vrai, convient idéalement à ce jeu éminemment puissant et toujours musclé, d'une intensité et d'une violence à la limite du supportable, mais dont les lenteurs savent également susciter le recueillement et l'introspection. S'il est moins sûr, dans l'absolu, que ce type de piano soit adapté à la musique de Schumann, force est de reconnaître qu'il fait merveille dans la Fantaisie un ut majeur, op.17, cette œuvre foncièrement paradoxale qui marque le déséquilibre dans l'équilibre, le chaos dans l'ordre, la fuite dans la permanence. Mais sans doute est-ce, avec la suite de Petrouchka, l'écriture pianistique d'un Stravinsky qui, intrinsèquement, sied le mieux au jeu de Pogorelich, d'une imagination rythmique et d'une variété dynamique absolument inouïes. Dans une partition où tout l'orchestre semble se retrouver sur le clavier, le pianiste croate paraît aujourd'hui sans égal. Pourtant, nous l'avons encore préféré dans les Variations sur un thème de Paganini de Brahms, dont la virtuosité moins brutale n'exclut pas les subtilités pianistiques du délié et du legato. Dans cette alliance entre force et sensibilité, entre exubérance instrumentale et intériorité de l'âme, Pogorelich s'affirme assurément comme un des pianistes les plus passionnants de notre génération. Le public a bien évidemment fait un triomphe à ce monstre sacré du piano. Il a également pardonné l'absence de bis, inhabituelle in loco, comprenant qu'elle était à mettre au compte de la démesure du programme et de la rare qualité d'un jeu exigent et sans doute littéralement épuisant.

Crédit photographique : © Antonio Damato Centro Imagine

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