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Bach, personnage romanesque

Voici un petit livre qui combat l'idée communément admise et transmise par ses deux portraits officiels, d'un austère, bougon, entièrement tourné vers la musique dans ses combinaisons les plus complexes.

Cette fantaisie purement imaginaire prête à un Johann Sebastian de 45 ans, une fuite musicale et pédagogique assortie d'une infidélité conjugale, dans un luxueux relais de chasse en Saxe, avec une élève surdouée,  dont il ferait volontiers sa disciple. Si l'on connaît sa musique et les grandes lignes de sa vie,  ainsi que son caractère revêche et indépendant, on en ignore les détails. Il est permis d'imaginer quelques aventures autour de sa pédagogie, qu'il peinait à transmettre aux étudiants de Leipzig.

À l'image de son escapade à Lübeck, à l'âge de vingt ans, où il était allé se perfectionner pendant quatre mois auprès du vieux maître Buxtehude, il s'accorde une récréation loin des pesanteurs de sa charge et des tourments des conseillers municipaux de Leipzig.

Sous les bons soins d'un factotum aussi doué en musique qu'en cuisine, s'agissant d'un ancien castrat devenu muet, Sebastian et sa jeune disciple s'adonnent à toutes sortes d'exercices musicaux, assortis de savantes expériences culinaires où les saveurs et les goûts s'associent aux musiques étudiées. Musicien et gastronome aussi au fait du contrepoint que des secrets des cuisiniers princiers du XVIIIe siècle, l'auteur s'amuse à composer de subtils festins, qui confirment l'image d'un Bach bon vivant et sensuel. Ce séjour original devient une éducation à la sensibilité de tous les sens pour aboutir à une démarche spirituelle car pour Bach, toute la création, comme le fruit de l'esprit humain, ne peuvent que chanter la gloire de Dieu.

D'ailleurs, la jeune Eva ayant vécu là ce qu'aucun être humain ne pourrait espérer attendre en une vie entière, elle décide de se convertir au catholicisme et de se faire carmélite dans un couvent du sud de la France.

La deuxième partie du roman devient un « road movie » à travers l'Allemagne et la France où Bach part à la poursuite de sa protégée pour tenter de la faire changer d'avis. C'est qu'il comptait sur elle pour inventer la musique nouvelle qu'il ne pouvait faire lui-même, bloqué qu'il était par le conservatisme borné des bourgeois de Leipzig. Et pour justifier l'escapade comme le titre, l'auteur lui fait composer rien moins que L'Art de la fugue lors des étapes de cette course poursuite jusqu'en Avignon.

Premier ouvrage de , cette fantaisie divertissante et bien composée, bien différente de la somme de Sir John Eliot Gardiner Musique au château du ciel (Flammarion, 2014), s'inscrit dans la veine de La Rencontre de Lübeck de (Desclée de Brouwer, 2003) ou du captivant À sa seule gloire de (Denoël, 1981).

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