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A Genève, danser Richard Wagner

Avec cette nouvelle production du , après son Roméo et Juliette de 2009, la chorégraphe signe sous le titre de « Salue pour moi le monde », paroles de Isolde quittant sa suivante Brangäne, un bouleversant Tristan et Isolde.

Enorme défi que de présenter dans le mutisme de la danse le mythe de Tristan et Iseult. Si chacun en connaît l'intrigue, les pages musicales de l'opéra de Wagner ne semblent pas taillées pour la danse. réussit toutefois, en l'espace d'une heure et demie, à nous emmener dans le fantastique de ce drame presque aussi intensément que Wagner dans les quatre heures de son opéra. Ici, la chorégraphe suggère l'intrigue, là elle est racontée à force mots et musiques. Et pourtant, dans ce ballet, l'aventure des deux amants reste très clairement exposée. Miracle de la poésie. En résulte un spectacle d'une grande qualité artistique et émotionnelle. Si les interprètes ne sont pas étrangers à la beauté de cette vision, l'intelligence de la chorégraphie les projette vers l'excellence.

Déjà lors de la sublime ouverture, la scène brouillardeuse s'illumine brièvement dans quelques lucarnes de lumière où quelques petites scènes dansées racontent ce qui précède la rencontre des deux amants. On y voit fugitivement Tristan tuer le chevalier Morholt avant de ramener la fiancée du chevalier pour l'offrir comme épouse à son oncle, le Roi Mark. Avant même que le spectacle des danseurs prenne totalement l'espace scénique, les éclairages subtils de Renaud Lagier soulignent la poésie recherchée par la chorégraphe .

Une poésie qui s'invite avec l'entrée d'Isolde, vêtue d'une robe longue plissée rouge, dansant dans une mer de légères voiles bleues. Magnifique, Saranawa Tanatanit offre d'Isolde le portrait parfait de l'innocence. Quand arrive Tristan, tout auréolé de gloire, Isolde noue une corde autour de sa taille. Débute alors un duo des protagonistes, avec une Isolde tournoyant et volant autour de Tristan, tous deux jouissant de leur jeunesse éperdue et amoureuse.

De la poésie encore quand, au sol, les danseurs du Ballet du Grand Théâtre tournent sur eux-mêmes suggérant une marée humaine, avant l'entrée du Roi Mark (). Drapé d'une toge jaune or, son autorité s'exprime admirablement dans une gestuelle de puissance toute royale.

La distribution de ce ballet fait place à un quatrième personnage, un témoin. S'exprimant dans le corps de , ce personnage tourne autour de l'action, y assiste sans pouvoir en être l'acteur. Témoin impuissant mais présent. Peut-être est-ce la conception chorégraphique de la Brangäne de l'opéra wagnérien.

Chez Wagner, la mort d'Isolde reste le point culminant de l'opéra, le chant exprime dans la douleur extrême de la mort de l'être aimé, la beauté de son corps, de ses lèvres, de son souffle. Avec Joëlle Bouvier, c'est la mort de Tristan qui semble la toucher plus profondément. Elle la sublime avec la complicité d'un extraordinaire , danseur transportant la lente agonie du héros dans une suite d'attitudes d'une beauté cruelle et d'une délicatesse funèbre. Mortellement blessé, Tristan, le corps démantelé pend affalé sur une perche de bois. Image saisissante. Après une ultime et superbe danse, il s'écroule alors que Isolde, drapée d'un grand voile rouge sang, se penche sur sa dépouille. Immobile pietà en pleur, elle meurt sur le corps de Tristan pendant que retentissent les dernières mesure de son « Mind und leise ».

Au tombé du rideau, l'émotion du public est palpable. Il réserve un triomphe au qui démontre, une fois de plus, la grande qualité de ses interprètes et des spectacles qu'il monte.

Crédit photographique: GTG © Gregory Batardon

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