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A Coppet, une semaine au XVIIIe siècle

Le succès public de cette 5e édition du festival « Autour de Mme de Staël » confirme l'intérêt d'un certain public pour cette femme extraordinaire dont le salon qu'elle tenait dans son château de Coppet, à une vingtaine de kilomètres de Genève, a vu défiler les plus grands esprits des années lumière. La musique de à l'honneur.

Le fil rouge de cette édition s'articulait autour des rapports de Germaine de Staël avec le poète Goethe. Se vouant une grande admiration mutuelle, la littérature les réunissait. L'occasion de plonger les spectateurs dans le XVIIIe siècle et son extraordinaire foisonnement culturel.

Ouverture des feux avec la désormais incontournable plaidoirie de Me Marc Bonnant. La Bataille d'Hernani a les honneurs des paroles du brillant avocat. Parmi les mots exprimés çà et là, on note « La littérature est la seule chose qui nous console de notre finitude », « Etre à la mode, c'est avoir le destin d'une feuille morte ! », « Espérer, c'est cesser de voir », « Une féministe : c'est une transsexuelle psychique » jusqu'à résumer la littérature d'aujourd'hui avec ce jugement : « Donnez-moi un pauvre, je vous ferai un roman ». Les trois soirs suivant, le public goûte la confrontation entre Marie-Antoinette et Malesherbes dans une pièce historique de Florence Camoin, la conférence sur l'immanence du romantisme du philosophe français Raphaël Enthoven, La Confession d'un enfant du siècle d'Alfred de Musset, puis Ruy Blas la pièce de Victor Hugo. Un plongeon bienfaisant dans ce 18e siècle, si riche.

Ainsi, le théâtre et la langue semblent accaparer le festival. Mais il ne serait pas célébrant du Siècle des Lumières si la musique en était absente. Ainsi, depuis sa création, il n'est de célébration « Autour de Mme de Staël » où la musique ne se trouve dignement représentée avec le feu d'artifice du comédien et du pianiste . Le comédien déclame des textes judicieusement choisis pour illustrer tantôt avec gravité, tantôt avec profonde poésie ou avec humour, le propos de la personnalité qu'il dépeint. Des textes entrecoupés par de courtes et intenses interventions de piano. Cette année, c'est dans les chausses du poète allemand Goethe que les deux compères nous entrainent.


Aux premiers instants du spectacle, , profondément inspiré offre la Sicilienne de Bach avec un tel esprit que, dans cette courte page, il tire les larmes de bien des spectateurs et perturbe même l'acteur , visiblement ému par ces quelques notes issues de l'âme d'un véritable artiste. Un déclic qui va imprimer ces presque deux heures de poésie et de musique.

Ce sont alors des moments uniques d'émotion et de communion artistique quand, de sa voix magnifiquement timbrée, clame avec force la ballade du Roi des Aulnes, pendant que François-René Duchâble accompagne le poème avec un vibrant Erlkönig de Schubert. La fusion de l'acteur et du musicien fait vivre intensément le drame de l'enfant agonisant dans les bras de son père alors que la Mort l'appelle, le silence peut à peu retombe quand s'insinue tendrement la Sérénade de Schubert laissant au comédien, dans un vers ultime, annoncer la mort de l'enfant. Des instants particuliers où rien d'autre que l'indicible, l'extraordinaire, le sublime habitent l'espace.

On peut imaginer qu'avec cette formule comédien-musicien, l'usure des ans pourrait lasser. Mais, il n'existe jamais rien de quelconque avec ces deux-là ! Si on connaît la voix musicale d'Alain Carré, si on sait l'impeccable technique pianistique de François-René Duchâble, à chaque représentation le miracle de cette rencontre opère. Ce doit être cela qui sépare l'interprète de l'artiste.

Si l'on se souviendra de La Sicilienne de Bach, du Erlkönig de Schubert, on ne peut passer sous silence l'époustouflante « Méphisto Valse », l'émouvant portrait de « Chopin » de Robert Schumann et l'Etude transcendante n° 10 de Liszt.

Crédit photographique : ©Yves Perradin

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