- ResMusica - https://www.resmusica.com -

Anna Vinnitskaya dans un récital de maître

effectuait un retour très attendu au festival de piano de la Roque d'Anthéron en ce jeudi 13 Août, après le rendez-vous manqué de l'année précédente, dû aux intempéries. 

Fidèle à sa réputation, la pianiste russe a véritablement illuminé les lieux : impressionnante de  maîtrise et de profondeur dans son art, guidée par une pensée musicale au service de l'âme des œuvres de son répertoire. Chaque morceau obéit ainsi à une rigueur architecturale qui ne connaît aucune faille et se concentre sur la ligne mélodique et la variété de ton.

La transcription de Brahms pour la main gauche de la Chaconne de Bach ouvre ce récital consacré aux compositeurs allemands et russes. Dès les premières mesures, un son plein et nuancé s'élève au point de nous faire oublier que nous n'entendons qu'une seule main. L'interprétation exploite toutes les possibilités qu'offre un instrument moderne aux médiums équilibrés et matures. La tentation de pencher vers des accents romantiques est grande, mais la russe trouve l'émotion avec sobriété, n'utilisant que très peu de pédale.

Dans les Klavierstücke de Brahms, cette faculté de pénétrer la partition dans ses moindres inflexions nous permet d'entendre une version aux antipodes de ce qui est souvent joué. Il n'appartient qu'aux grands interprètes de Brahms de ne pas surcharger le texte, suffisamment dense en  sentiments. Le deuxième « Capriccio », aux accents de danse hongroise, est d'une délicate exécution et suit une rythmique très carrée. Le dernier volet sera, quant à lui, un exemple probant de cette profondeur expressive tout comme le premier « Capriccio », dont le sublime sotto voce part de très loin et prend le temps de mettre en place un décor tourmenté aux subtiles demi-teintes.

Après la pause,   a choisi les rarissimes Danses des Poupées de Chostakovitch, suite de sept courtes pièces composée pour les jeunes élèves en piano. Sous les doigts de la jeune musicienne, ces danses, loin des teintes sombres du compositeur, nous apportent une touche rafraîchissante pleine d'humour et d'innocence, tantôt lyrique (« Romance »), raffinée (« Valse lyrique »), (« Romance ») ou enlevée avec ironie (« Polka »). Le contraste est total avec la Sonate n° 6 de Prokofiev, qui suit. Si la technique digitale est de bout en bout éblouissante – aucune dureté dans le toucher – le discours n'en reste pas moins implacable et captivant. Le rouleau compresseur de la machine de guerre avance inexorablement sous nos yeux. Le « Tempo di valzer lentissimo » atteint des sommets d'expressivité, tandis que le finale et sa spirale obsessionnelle nous entrainent vers une conclusion redoutable.

Longuement ovationnée, Anna Vinnitskya offre trois généreux bis au public. Tout d'abord, un tonitruant 2e mouvement de la Sonate n° 2 de Prokofiev, dans la même veine que ce qui précédait. Puis, tout en tendresse, la 7e pièce des Kinderszenen de Schumann, avant de tirer le rideau avec un  Prélude  en si mineur de Bach / Siloti  beau à en pleurer.

Crédits photographiques : © C.Grémiot

(Visited 753 times, 1 visits today)