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Week-end Arvo Pärt à la Philharmonie de Paris

Les 80 ans tout juste sonnés d' sont l'occasion, pour , de mettre la musique de son compatriote à l'honneur.

Le programme aurait pu paraître aride, et la succession de ces titres plus ou moins fantaisistes, rebuter le public habituel de la Philharmonie. Que nenni ! La grande salle est comble, et l'on se bouscule à l'entrée pour trouver des places de dernière minute. aura-t-il été pris de vertige, depuis la scène d'où il adresse humblement quelques saluts au terme de la soirée, en recevant les ovations de deux mille personnes ?

Son itinéraire créateur est pourtant loin d'avoir été linéaire. On connaît la mutation stylistique si spectaculaire qui a marqué sa production dans les années 70, lorsque abandonnant les techniques d'inspiration sérielle, il s'est tourné vers un mode de composition très épuré qu'il a lui-même nommé « style tintinnabuli » : imitation de sons de cloches, prédilection pour l'accord parfait, ralentissement du temps musical, telles en sont les caractéristiques majeures, qu'illustrent aussi bien des œuvres vocales (tel le Da Pacem Domine) qu'instrumentales (La Sindone). Mais ce premier concert, sur les trois qui ont lieu en ce week-end, fait astucieusement sentir qu'un fil unit les grands moments de la carrière de Pärt : le génie.

Summa et Credo : deux œuvres parallèles

La première partie du concert opère le rapprochement subtil de deux œuvres. Summa, d'une part, quoique donnée dans sa version pour orchestre à cordes, hérite de l'œuvre originale de 1977 (une mise en musique du texte liturgique du Credo) un sens mystique que lui conserve l'usage obsessionnel de rythmes lents – rythmes de sarabande, dirait-on. Nullement décontenancées par la radicalité d'écriture d'un Pärt qui explore sa nouvelle voie, les cordes de l'orchestre de Paris font merveille, et tiennent l'attention captive, en variant les textures sonores avec brio.

Credo, d'autre part, est l'œuvre qui valut à son auteur, en 1968, une brusque censure du régime soviétique, et poussa Pärt à se remettre profondément en question. Il n'y a pas à hésiter : l'interprétation de Credo que donne Järvi est le sommet de la soirée. Contrairement à ce que son titre laisse penser, les parties vocales de Credo s'appuient sur un verset de la Vulgate, un extrait de l'évangile selon saint Matthieu dont l'œuvre entière est l'illustration sonore : « Et moi, je vous dis de ne pas riposter au méchant. » Dans la pièce de Pärt, en effet, la partie de piano solo (que tient , plein d'aisance) égrène stoïquement les notes du premier prélude du Clavier bien tempéré de Bach – mais la musique est peu à peu ensevelie sous le chaos, figuré par des notes aléatoires que hurlent les instruments de l'orchestre, cuivres en tête. Après quelques secondes d'un déluge sonore presque insoutenable, le candide prélude reparaît, et triomphe mystérieusement de la violence, progressivement reléguée au second plan sonore, dans un decrescendo admirable. Plus que tout, l'interprétation mémorable qu'offrent l'orchestre et le chœur de Paris permet d'entrevoir que l'œuvre représente, simultanément, un aboutissement et une impasse créatrice, comparable, en un sens, au Sacre du printemps. On comprend pourquoi Credo a signifié, pour Pärt, un nouveau départ dans la recherche d'un sens sacré toujours plus authentique.

Hommages aux compositeurs d'autrefois

La deuxième partie du concert, quant à elle, s'articule autour de la Symphonie n°3, une œuvre intermédiaire que Pärt a composée du milieu de son grand silence de 1968-1976. Il redécouvrait alors le plain-chant grégorien et l'ars nova, et sa symphonie y pioche son matériau. Force est de reconnaître que le résultat, malgré sa valeur de témoignage, est décevant : le manque d'âme et le morcèlement trahissent les hésitations d'un compositeur encore en pleine recherche. Le concert se clôt heureusement sur un magistral Cantus in Memory of Benjamin Britten, dont la simplicité n'a d'égale que la bouleversante efficacité. L'acoustique de la salle de la Philharmonie rend justice aux harmoniques des cloches, qui jurent délicieusement avec les gammes de la mineur des cordes, et dépeignent à elles seules la douleur de la perte d'un maître.

Crédit photographique : © Kaupo Kikkas

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