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Beatrice Rana et Antonio Pappano : rencontre au sommet

La pianiste signe son premier disque chez Warner Classics avec l'Orchestre dell'Accademia Nazionale di Santa Cecilia sous la direction d'. Et quel disque ! Il sublime une collaboration musicale de très haut niveau et apporte un éclairage lumineux sur deux monuments du répertoire russe.

Dans le livret de présentation, évoque le but ultime de tout musicien, celui de laisser son empreinte personnelle sur l'interprétation que l'on fait d'une pièce « une bonne fois pour toutes », aussi irréalisable que cela puisse sembler. Un objectif qui au final n'est pas hors de portée si on en juge par ce magnifique enregistrement.

Dans le redoutable deuxième concerto de Prokofiev, la pianiste fait entendre sa propre voix. Elle occupe pleinement l'espace, varie à merveille les textures, parfaitement à l'aise dans des tempi rapides. À tout juste 23 ans, sa maturité expressive a de quoi susciter l'admiration et balaye les idées préconçues liées à l'âge de l'interprète.
Le thème initial résonne avec une beauté rêveuse sans se départir d'une touche mélancolique. Difficile de ne pas se retrouver aspiré par les élans dramatiques de ces pages et de résister à ces sonorités quasi apocalyptiques. Pappano dirige ses troupes comme un seul homme. Il construit une ligne limpide où chaque pupitre s'illustre avec brio. Dans les mouvements rapides, la tension est constante, relancée par des accents passionnés au clavier. Certains choix de lecture se révèlent être inventifs. Prenons la fin de la fameuse cadence (1er mouvement). La rupture agogique de ces accords joués lentement, sans pédale, crée un effet audacieux juste avant le retour dantesque de l'orchestre. C'est totalement dans l'esprit de ce concerto où le grotesque est génialement exprimé. À côté de cette noirceur et des éléments déchainés, la beauté harmonique est pleinement mise en valeur. On n'avait pas entendu une vision aussi enthousiasmante depuis l'association Ozawa-Yundi et aussi Varga-Vinnitskaya.

Le chef et sa soliste sont à nouveau en totale osmose dans le Tchaikovski n°1. Leur interprétation rafraîchissante porte la marque de cette alchimie. L'Italienne se fond dans la partition avec autorité et mordant. Tantôt à fleur de peau, tantôt avec une gravité parlante, la pertinence et le soin qu'elle apporte à chacune de ses parties solo est tout simplement exemplaire. Déroulant un tapis de nuances et de lignes chantantes – les aigus du Steinway ont rarement été aussi cristallins ! – elle instaure un dialogue contrasté avec un orchestre ici dans son jardin. Sans emphase ni effets redondants, certains reflux et autres climax tragiques prennent une véritable dimension symphonique. Les bois sont très en vue avec des flûtes étincelantes de poésie.

La prise de son est parfaitement équilibrée et capte un maximum d'éléments dont les respirations des musiciens, un peu comme si l'auditeur était présent dans la salle. Cette version de choix rejoint la longue liste des disques incontournables, dont le célèbre Abbado-Argerich, et confirme le talent rare de .

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