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Le récital renversant de Khatia Buniatishvili à Paris

Éblouissante, ! Elle ne fait pas toujours l'unanimité chez les plus chagrins, mais elle vous transporte une salle. C'est en tout cas ce qui ressort de ce récital renversant de virtuosité auquel on a pu assister à la Philharmonie.

On connait pour son tempérament de feu, pour sa personnalité jugée parfois trop présente dans ses interprétations. Son jeu est tantôt fougueux, tantôt délicat, toujours imprévisible, jamais académique. Oui, les œuvres, sous ses doigts singuliers, prennent parfois des tournures inattendues qui déplaisent à certains critiques par trop formalistes. Qu'à cela ne tienne ! C'est bien tout cela qui lui a valu les ovations du public de la Philharmonie.

Si le programme est placé sous le signe de la virtuosité, il s'ouvre d'abord sur une entrée en matière plus classique et mozartienne avec la Sonate n° 33 en ut mineur de Haydn. On peut déjà admirer l'étonnante capacité de la pianiste géorgienne à faire surgir sa personnalité, à mettre en place une énergie qui lui est propre.

Mais c'est avec les Réminiscences de Don Juan, premier morceau d'une longue série Lisztienne, que commencent les choses sérieuses.  en offre une performance sidérante tant elle semble l'habiter. La structure en thème et variations, sur les motifs du Don Giovanni de Mozart, est propice à son style éclatant et à la liberté qu'elle répand dans son interprétation. Orageuse dans les basses pour évoquer la figure inquiétante du commandeur, séductrice dans le duo entre Zerline et Don Juan, facétieuse et pétillante dans l'air du champagne, elle use et abuse de son art du rubato, portant l'expressivité à son comble jusque dans les spirales les plus virtuoses.

Les trois études qui introduisent la seconde partie du concert laissent admirer une facette plus délicate de son jeu. Entre une Leggierezza suave à souhait, un Feux follets mystérieux et une Campanella virevoltante, Buniatishvili se promène malgré les tourbillons et les déferlantes de petite notes qui s'enchaînent d'un bout à l'autre du clavier.

Vient ensuite la Rhapsodie Hongroise n° 2, d'abord fière et mélancolique puis dégénérant dans une série de danses irrésistibles : comme si ce programme ne suffisait pas à atteindre les confins de la maestria, la géorgienne a choisi la version arrangée par Vladimir Horowitz qui entrelace les thèmes de manière encore plus étourdissante. L'excitation atteint son paroxysme dans un final particulièrement frénétique, Buniatishvili se levant presque de sa banquette pour mieux frapper les touches.

La fin du concert ne laisse pas le loisir de redescendre sur terre, avec trois mouvements d'un Petrouchka de Stravinsky marqués par une interprétation toujours aussi sensible, vivante et extrêmement musicale. Ovationnée, la pianiste a gratifié le public de deux rappels : un Clair de lune de Debussy dont elle a le secret, atmosphérique et magique, puis une dernière explosion avec le Precipitato de la septième sonate de Prokofiev.

Au terme de ce récital, on se dit qu'on ne vient pas écouter Buniatishvili pour entendre une exécution conventionnelle, mais pour assister à un feu d'artifice permanent qui tiendrait presque de l'exploit. Khatia Buniatishvili, c'est aussi une présence scénique : sa façon de brusquement s'élancer sur son piano, de commencer à jouer avant la fin des applaudissements, de rejeter ses cheveux en arrière avec véhémence… Au risque de briser un tabou de mélomane, tout cela participe au spectacle. C'est une féminité, une concentration toutes visuelles. C'est aussi une plastique ravissante et – parlons-en ! – une robe fantastique. Cela n'enlève rien à la musique, au contraire.

Crédit photographique : Khatia Buniatishvili © Julia Wesely

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