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Nelson Freire dans Johann Sebastian Bach : un récital mi-fugue, mi-raison

nous offre enfin un récital Bach fort attendu où le sublime côtoie le beaucoup plus discutable voire l'approximatif. Osons parler d'une déception.

En effet, le récital s'engage plutôt mal avec une Partita n° 4 BWV 828 assez précipitée : dès la section rapide à 9/8 de l'ouverture, le discours s'emballe, le pianiste brésilien « boule » les traits de doubles croches dans les échanges de voix aux deux mains et précipite le tempo déjà vif, un défaut que l'on retrouvera de manière plus ténue au cours de la courante ou de la gigue de la même œuvre. Certes, la poésie est au rendez-vous de l'allemande et de la sarabande mais la couleur sera préférée au dessin, le détail à l'architecture globale. Freire va vite et ne s'embarrasse pas de certaines reprises qui pourtant campent le discours : le fil d'une certaine logique musicale ainsi hélas se perd. Une comparaison ponctuelle avec Stephen Kovacevich (onyx, 2009) ou Rémi Geniet (Mirare, 2014) pour nous en tenir à deux versions isolées récentes, est bien cruelle pour le CD dernier venu.

Les choses se gâtent plus encore dans la Suite anglaise n° 3 BWV 808, où le jeu devient franchement brouillon, Dès le prélude, et çà et là, dans tout l'enfilement des danses stylisées, les doigts « accrochent », les ornements semblent parfois mal placés et gênent dès lors toute l'agogique du discours, même si les tempi sont mieux tenus et qu'une certaine bonhomie bienvenue souligne la gavotte. Comment une direction artistique plus responsable n'a-t-elle pu corriger ou empêcher – au montage – de telles scories à ce niveau, incroyables venant d'un tel pianiste ?

Ne jetons pas le bébé avec l'eau du bain. Pour retrouver dans son élément et sous son meilleur jour, programmez et écoutez d'abord la Toccata BWV 911 aux sections si contrastées ou la célèbre Fantaisie chromatique et Fugue BWV 903. On l'y retrouve avec son imagination coutumière, avec sa rigueur incisive juste assez débridée quand il le faut ; l'ivresse digitale, la science de la sonorité guident un discours d'humeur vagabonde digne héritier du stylus fantasticus. La Fugue du BWV 903 est menée avec une transparence des plans sonores n'empêchant pas un réel dramatisme.

La majorité des « petites pièces » offertes en fin d'album comme autant de bis sont de vrais joyaux, où la sonorité immatérielle, quelque peu trahie par une prise de son bien (m)aigrelette, et le sens du legato de  font à nouveau merveille. En particulier on goûtera la suave poésie du Prélude BWV 535 dans la transcription de Siloti, ou le recueillement romantisé du célébrissime Jesu bleibet meine freude dans le réduction de Dame Myra Hess. Tout est ici, par le truchement de l'interprète, totale recréation artistique faisant litière de tout hiatus esthétique lié au principe même de la transcription. On fera toutefois l'impasse sur un Nun Komm der Heiden Heiland BWV 659 dans le bel arrangement de Busoni, ici quelque peu empesé par de curieux effets pathétiques et des rallentandi hors de propos à chaque apparition du cantus firmus orné… Dinu Lipatti (EMI-Warner) y était tellement plus émouvant dans sa simple sobriété.

Au total, un bon demi-disque. C'est peu, quand l'affiche s'annonçait comme exceptionnelle.

 

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