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Iliade l’amour, création de Betsy Jolas au conservatoire de Paris

Le 5 août prochain, la compositrice fêtera ses 90 printemps. L'actualité est chargée pour cette grande dame de la composition qui a reçu une commande d'orchestre des Berliner Philharmoniker (16 juin) et verra la création de son double concerto pour piano et trompette le 1er avril au Printemps des Arts de Monte-Carlo. Pour l'heure, c'est la Philharmonie de Paris qui la reçoit pour la création mondiale de Iliade l'amour, une nouvelle version, remaniée et condensée (1h45) de son opéra Schliemann créé en 1995 à l'Opéra de Lyon.

Amour et humour

L'ouvrage est désormais en dix tableaux sollicitant un ensemble instrumental très économe (16 instruments dont un synthétiseur et un échantillonneur). Le livret, originellement écrit par Bruno Bayen et d'après la pièce Schliemann, épisodes ignorés de Bruno Bayen, est remis sur le métier par les deux auteurs qui en modifient le déroulement. L'opéra de chambre débute désormais par la mort de l'archéologue allemand, pionnier de l'archéologie grecque malgré l'aura de mystère qui plane autour de ses recherches. Sa fille Andromache a dans les mains son autobiographie et va conduire le spectateur dans le récit de quelques épisodes de sa vie suscitant autant de flashback. « Il y a de l'amour », comme le laisse entendre le jeu de mots fait avec le titre, dans ce livret où Schliemann poursuit sans cesse son rêve d'Iliade en cherchant à travers ses conquêtes féminines l'incarnation d'Hélène de Troie : angle de vue original qui met en scène, à côté de l'archéologue, deux rôles féminins essentiels projetant avec distance l'image de leur « héros ». La distance est d'ailleurs ménagée avec subtilité tout au long de l'ouvrage par la compositrice, à travers une écriture vocale et orchestrale toujours très suggestive où l'humour s'immisce en filigrane.

Exceptées les six minutes de silence, interminables et maladroites, qui débutent (très mal) l'opéra, la mise en scène d', fluide et sobre, situe les prémices de ce « voyage » sur le pont d'un bateau, imaginant ensuite pour chaque tableau un espace spécifique à la faveur des éclairages et des rideaux de tulle qui en modifient l'atmosphère. Un portrait géant de Schliemann occupe le fond de scène durant les premiers et derniers tableaux, lorsque le personnage n'est plus de ce monde.

Un casting éblouissant

Exigeante et virtuose, la partie chantée est envisagée dans sa palette expressive la plus large, de la voix parlée (plutôt rare) au lyrisme très déployé (air de Sophia), en empruntant également à la déclamation debussyste et au Sprechgesang schoenbergien. On est d'emblée séduit par la qualité des voix de ces jeunes chanteurs, pratiquement tous – sauf le baryton – issus du département des disciplines vocales du CNSMDP : celle, sensuelle et racée, de la mezzo-soprano /Andromache qui nous guide dans l'histoire tel le coryphée de la tragédie antique. /Spencer est un baryton lumineux, d'une grande clarté d'élocution, qui partage avec Schliemann/ une des scènes les plus truculentes (orchestre sempre scherzando) où l'archéologue est en train de choisir sa future femme parmi les clichés de jeunes filles grecques que l'archevêque d'Athènes lui a envoyés! Voix chaleureuse et puissante, à la diction exemplaire, a également l'abattage scénique du rôle. En témoigne la scène d'ivresse avec Nelly/, superbe mezzo-soprano, qui n'est pas encore « la femme qui lui chante ». La révélation, pour le public comme pour Schliemann d'ailleurs, c'est Sophia/, soprano somptueux, voix longue et bien timbrée, flexible et expressive, pour qui écrit le grand air de cet opéra, serti des plus belles couleurs d'orchestre: « Je suis l'épouse de tes rêves » dit-elle à Schliemann. Le duo d'amour qui précède est chanté en anglais, presque a cappella et dans un raffinement exquis. Guihem Worms/l'appariteur et /Mr Haak, détective, professeur de gymnastique, ne déméritent pas au sein de ce casting éblouissant augmenté d'un ensemble vocal irréprochable qui intervient souvent en surimpression, comme une résonance de ce qui se dit.

Ciselée avec un soin d'orfèvre et une richesse des couleurs instrumentales (celles de la percussion subtilement exploitée par la compositrice), la partie orchestrale enchante le plateau, insufflant la verve rythmique et ménageant les relances énergétiques pour porter la dramaturgie dans un parfait équilibre des forces : une tâche délicate et superbement assumée par le chef belge , à la tête de l'Orchestre du Conservatoire.

À l'instar d'un Eliott Carter qui, à 90 ans, écrivait son unique opéra What next?, Betsy Jolas relève le défi…. et avec la même fraicheur juvénile!

Crédit photographique : et Betsy Jolas ; Iliade l'amour © F.Ferranti

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