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Carl Philipp Emanuel Bach sous l’archet de Julian Steckel

, jeune violoncelliste allemand né en 1982, lauréat de nombreux concours  musicaux en Allemagne et dans toute l'Europe (concours Rostropovitch de Paris en 2005, Pablo Casals, à Kronberg, en 2012, entre autres) nous livre une version énergique et enthousiasmante des trois concerti pour violoncelle de Carl Philipp Emmanuel Bach qui nous sont parvenus.

Ces derniers datent des années 1750, et probablement destinés à Ignaz Mara, le violoncelliste soliste virtuose accompli de la Cour de Frédéric II de Prusse, où le « Bach de Berlin » officiait. Ils sont  également connus dans des adaptations qu'en réalisa pour la flûte (l'instrument royal) ou le clavier le compositeur. À notre sens, par leur tonalité poétique, dans le répertoire classique, ils sont à mettre sur le même pied que les deux concerti de Joeph Haydn et surclassent ceux de Boccherini, certes plus virtuoses mais bien plus neutres de ton. Car par leur esthétique « Sturm und Drang » avec les contrastes du discours poussés au paroxysme du dramatisme, ils semblent annoncer les orages romantiques avec un demi-siècle d'avance. On se souvient de la petite phrase de Mozart à l'égard de Carl Philipp Emmanuel : « Il est le père, nous sommes les fils ».

Cet enregistrement est une divine surprise, ce dès l'attaque du concerto en la mineur. L'orchestre de chambre de Stuttgart d'aujourd'hui a revu ses principes d'interprétation selon une démarche historique avertie, depuis le mandat de Denis Russell-Davies (1995-2006) et surtout celui toujours en cours de , sans pour autant abandonner l'instrumentarium moderne. On est loin des enregistrements délicieusement surannés de son fondateur Karl Mücnhinger. La direction musicale de ce disque est d'ailleurs confiée au violon-conducteur Susanne von Gutzeit laquelle a forgé sa praxis « baroqueuse » notamment auprès de Reinhardt Goebel, le célèbre fondateur de Musica Antiqua Köln.

Coups d'archets plus secs, phrasés repensés, contrastes dynamiques revus , »soufflets » baroques typiques… tout dans cette interprétation concourt à une parfaite adéquation avec l'esthétique de cette magnifique musique.

est absolument parfait de bout en bout. Il joue un instrument de facture moderne (Urs W. Mächler) probablement tendu ici à l'ancienne (cordes en boyau) ce qui donne un soyeux et un moelleux irrésistible au son. Toute l'articulation du phrasé est repensée en fonction d'une vitesse et d'une incisivité d'archet incroyables. Les mouvements rapides sont pris dans des tempi extrêmement vifs, parfois même un tout petit peu trop à notre goût dans le Concerto en la majeur (Wq 172) qui clôture le disque, où un certain systématisme se fait jour. Pour peu Steckel, par son audace,  ferait presque passer la version, déjà ancienne ,d'Anner Bylsma avec Gustav Leonhardt (Virgin-Erato) pour timorée ! Tout ceci n'empêche pas une poésie charnue et fruitée dans le Concerto en si bémol majeur (Wq 171), un dramatisme quasi opératique durant tout le Concerto en la mineur (Wq 170) voire un spleen grandiose et quasi beethovénien dans le mouvement lent du Concerto Wq 172 déjà évoqué. On est loin de la souplesse esthétisante et un peu standardisée de Trïls Mörk (avec les Violons du Roy de Bernard Labadie – Virgin Erato) ou de la routine un peu indifférente des frères Suzuki sur instruments d'époque (Bis) et bien entendu d'approches plus romantisées (Antonio Meneses à Munich – Pan Classics). La seule véritable concurrence récente dans ce répertoire est le disque tout aussi parfait d'Ophélie Gaillard avec son ensemble Pulcinella, au programme moins homogène, avec cette impasse (hélas) sur le poétique Wq 171 substitué par une symphonie pour cordes et une sonate en trio.

En conclusion, le cœur est en fête, et est sans conteste un artiste à suivre tant pour son approche instrumentale originale que pour sa musicalité intrinsèque.

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