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Mesure et démesure sous les doigts de Murray Perahia

dans un récital classique ayant pour pièce maîtresse la Hammerklavier de Beethoven : voilà un programme plein de promesses. Aussi, au-delà du plaisir de retrouver le célèbre pianiste mozartien, c'était ici le sentiment d'un classicisme porté à son apogée, voire à son extrémité, qui a subjugué le public parisien. La grande salle de la Philharmonie lui offrait un cadre parfait, en laissant, malgré sa taille, une impression de proximité avec le piano.

introduit le concert avec les Variations de Haydn Hob. XVII:6. Car il s'agit bien, et comme souvent dans les récitals commençant par ce compositeur, d'une introduction qui permet au public de s'installer et de se fermer au monde. Assez vite pourtant, une musique à la fois mesurée et vivante, servie par un jeu clair et précis, s'impose. Mesurée dans les nuances, le tempo choisi et la posture même du pianiste, toujours droit mais sans rigidité. Vivante dans des détails, par exemple quand tel ornement est pris avec une légèreté soudaine, les doigts effleurant le piano.

La Sonate en la mineur K 310, peut-être une des plus expressives composées par Mozart, est engagée avec énergie, par son thème obstiné et tragique. À nouveau, pas d'excès, et pourtant beaucoup de sentiments complexes et délicats, qui suscitent des applaudissements entre les mouvements. L'Andante n'est pas un mouvement de recueillement, et n'hésite pas à y mettre un certain emportement et de l'intensité, les doigts au fond du piano. Le Presto, surtout, est joué avec une énergie totalement prenante, et qui convainc l'auditeur très familier de l'œuvre. Pour finir la première partie, le pianiste propose une incursion judicieuse dans les quatre Klavierstücke de Brahms, comme pour nous annoncer les écarts pré-romantiques et les thèmes martelés de Beethoven. Moins connu pour ce répertoire, il déploie cependant à la fois la vigueur et la douceur nécessaires pour ces petites pièces.

Enfin vient la Sonate « Hammerklavier », défi pianistique qui semble exploiter toutes les possibilités de l'instrument, mais aussi défi pour l'auditeur. C'est presque une folie que cette pièce de près de 40 minutes, dont un quart d'heure d'Adagio aux divagations complexes et surtout une longue fugue finale, aux contrepoints monstrueux et aux modulations si peu classiques. Le pianiste semble traverser l'œuvre avec résolution, et il faut tout de même le noter, avec une technique sans faille. Par exemple, dans certains traits du premier mouvement, la main survole le piano avec grâce et virtuosité. Pour capter l'attention de l'auditeur, il faut bien le jeu tout en relief et en énergie de Murray Perahia, qui sait marquer les ruptures et jouer des errances du morceau. Cette musique impose un point final non seulement au concert (et nous savons gré au pianiste de ne pas faire de bis), mais aussi à une certaine façon de composer et d'écouter la musique. En somme, nous ressortons changés.

Crédits photographiques : © Murray Perahia

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