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Lille piano(s) festival : quelques déceptions et de belles révélations

Depuis douze ans maintenant, le festival de piano de Lille concentre des concerts qui mêlent artistes confirmés et jeunes talents dans une ambiance chaleureuse et conviviale. Le résultat est parfois décevant, souvent enthousiasmant, toujours passionnant. Il a su aussi fédérer un public d'amateurs connaisseurs et mélomanes, ce qui n'est pas sa moindre qualité. L'édition 2016 a surtout mis en évidence des réussites inégales des artistes invités.

Le format de ce festival de piano de Lille est désormais bien rôdé : offrir aux mélomanes un marathon des concerts d'une heure environ, tantôt pour piano seul, tantôt en concerto (sans compter le jazz) répartis dans divers lieux de la ville, parfois d'ailleurs en parallèle ce qui contraint à faire des choix et… parfois à les regretter.

Pour l'édition 2016, qui s'apprête à passer le témoin de l'orchestre national au jeune Alexandre Bloch, après quarante années au podium avait invité gloires confirmées du clavier et jeunes lauréats des grands concours internationaux. Des premières, on oubliera vite à qui incombait l'honneur d'ouvrir le festival. Des Gymnopédies de Satie étirées et maniérées, soporifiques à souhait, précédaient l'insipide Gezi Park 2, sonate du pianiste. On ne se risquera pas à estimer l'interprétation de l'auteur, qu'on supposera conforme à ses vœux, mais le Concerto pour piano n° 23 de Mozart, qui concluait le concert, a frôlé le scandale ; Say fait un sort à chaque note, disloque les phrasés et les lignes mélodiques, escamote certains traits difficiles. L'orchestre suit plus ou moins, mais au total c'est bien Mozart qu'on assassine…

Heureusement que deux heures plus tard captivait le public par des Variations Goldberg d'une tenue et d'une pureté de ligne exemplaires ; on pourra certes contester cette conception très classique, au piano et non dénuée d'un certain romantisme, mais quelle élégance !

Le lendemain s'ouvrait sur la même ligne de crête avec un superbe récital , dans un programme de musique française aussi intelligemment composé qu'original mêlant Debussy, Satie et Ravel aux rares Séverac, Hahn, Dupont, Ferroud, et autres Koechlin et Schmitt. Un triple régal, pour l'esprit, pour l'oreille et pour l'imagination. On passera pudiquement en revanche sur un concert de transcriptions (le Sacre et Amériques de Varese) qui réduit, c'est le cas de le dire, des chefs d'œuvre orchestraux à des exercices de briseurs d'ivoire.

En revanche, la soirée autour des concertos pour deux et trois claviers de Bach et Mozart se révélait une réussite avec les sœurs Bizjak entourées par et le jeune , deuxième grand prix du dernier Concours Long-Thibaud-Crespin (le premier n'avait pas été décerné) dans un « jeune homme » de belle tenue. Mention particulière à l' dirigé avec élégance et précision par , bien supérieur au National de Lille routinier et insuffisamment préparé.

Le dimanche confirmait ces sentiments variés ; oublions le récital d'une bataillant avec son pianoforte, et même celui, très honorable mais sans beaucoup de relief de la jeune Nathalia Milstein, pour saluer l'extraordinaire performance de , récent vainqueur du Concours Reine Elisabeth ; ses souvenirs de Novak, superbe et rare triptyque, et surtout sa somptueuse Sonate n° 3 de Brahms nous transportaient dans un autre monde, qui évoque celui jadis exploré par Richter. Un grand pianiste à suivre assurément…

Enfin le concert final en deux parties permettait de retrouver le jeune Ismael Margain, 3e prix du concours Long-Thibaud 2012, dans un 23e de Mozart d'une autre tenue que les pitreries de , et Berezowsky dans le 2e de Chopin, joué avec une aisance d'autant plus confondante qu'il n'avait pas pu répéter avec l'orchestre. En revanche, l'audition du Boléro de Ravel, d'abord martelé sans grâce par le duo Latchoumia-Vermeulin et ensuite joué par l'orchestre sous la direction de Casadesus a montré que la phalange lilloise a du pain sur la planche (presque tous les solos des vents ont été entachés d'accrocs).

Crédits photographiques :  © Caroline Doutre ; © Irene Kim

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