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Un Don Giovanni d’Académie à Verbier

Monter Don Giovanni de Mozart dans le confinement d'une petite église, avec un orchestre d'une douzaine de musiciens et des chanteurs, pour la plupart, encore bruts de décoffrage, est une entreprise périlleuse. C'est pourtant le défi qu'ont relevé les professeurs de l'Académie du Festival de Verbier. Opération pleinement réussie si on fait abstraction des moyens que leur opposent les grandes scènes institutionnelles.

Côtoyer les chanteurs qui demain, peut-être, seront la relève de ceux qui aujourd'hui tentent de nous faire rêver,  qui avec sa voix, qui avec son sens du théâtre, qui parfois avec les deux, s'avère une superbe expérience pour les amateurs d'opéra comme pour les spécialistes.

D'emblée, on est surpris par les sons de l'orchestre dans l'ouverture qui, de grandioses au théâtre, laissent entendre des accents d'inabouti. En même temps perce la découverte de l'inventivité de l'écriture musicale mozartienne, chaque instrument du petit ensemble devenant un pupitre. Passé le temps d'adaptation au son quelque peu aigrelet de l'orchestre, le chant et le théâtre peuvent s'épanouir. Et dans ces scènes bien construites (), ces scènes qui racontent avec clarté l'intrigue, ces scènes où l'humour est constamment présent, les protagonistes s'en donnent à cœur joie !

Chantant à pleine voix (chanter piano n'est pas chose aisée) quitte à assourdir l'auditoire, chacun s'efforce de passer au-delà de sa voix lyrique pour sculpter les personnages de l'intrigue. Tous n'y réussissent pas, plus préoccupés par la justesse vocale que par leur rôle dans l'opéra. Si le critique exigeant note chez certains le besoin d'améliorer la diction, chez d'autres un manque de vibrato, chez d'autres encore une carence de couleurs, il faut leur reconnaître qu'ils ont tous à des degrés différents l'envie et le désir de bien faire.

Pourtant quelques artistes portent déjà l'évidence du talent. C'est le cas du baryton-basse suisse (Leporello) qui, outre un sens aigu du théâtre, possède une technique vocale accomplie. La souplesse musicale de son instrument lui offre le bénéfice de pouvoir colorer sa voix aux besoins du récit de son personnage. Il est le serviteur de Don Giovanni, avec tout ce qu'il lui faut de soumission et de bon sens. Si son air du catalogue Madamina, il catalogo è questo aurait mérité plus d'éloquence, son Ah, pietà, signori miei ! était un régal de sensibilité et d'authenticité. À ses côtés, on reste sous le charme musical de la soprano colombienne (Zerlina) qui, après un début quelque peu timide, a offert de beaux moments de chant et un instant de pur bonheur et de verve comique dans son Vedrai carino du deuxième acte. Si le ténor suisse (Don Ottavio) s'illustre avec beaucoup de brio dans ses deux airs (Dalla sua pace et Il mio tesoro intanto), on aurait apprécié que la tension émotive qu'il sait créer dans ces airs si difficiles ne retombe pas dans ses récitatifs.

Quant au baryton-basse (Don Giovanni), on reste stupéfait par l'aisance qu'il démontre en empoignant le rôle-titre. Avec une voix quelque peu acide, chargée de quelques vulgarités, il campe un Don Giovanni théâtralement antipathique, blasé et sarcastique tout à fait crédible. On aurait toutefois aimé qu'il démontre une meilleure sensibilité musicale au lieu de constamment chanter forte. Reconnaissons lui un Fin ch'an dal vino chanté avec beaucoup de superbe.

Crédit photographique : © Nicolas Brodard

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