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Tradition et création en Pays basque au Festival d’Automne

Innovante et vivifiante, la soirée que proposait le Festival d'Automne au Théâtre du Châtelet, quatre heures durant, liait sous la même thématique basque art savant et populaire : du geste ancestral et rituel de la Pastorale souletine à la création contemporaine, celle de donnant à entendre des fragments de son opéra à venir, Ravel. Bascophone par sa mère, Ravel a puisé aux sources de la tradition, dans son Trio notamment, mis à l'affiche aux côtés des chants et danses souletins, clôturant ce voyage très immersif dans l'énergie pure du « saut basque ».

Il ne manque que l'air des montagnes à cette Pastorale (théâtre populaire basque) jouée ce soir dans les règles de l'art sur la scène du Châtelet. Au Pays basque, la Pastorale est donnée chaque été sur un thème nouveau et dans un village différent dont elle mobilise tous les habitants, comédiens, chanteurs et danseurs amateurs, durant les trois heures de sa représentation. C'est le village de Tardets-Sorholus (650 habitants) qui accueillait cette année le rituel estival. Donnée partiellement ce soir, cette version 2016, convoquant auteur, musicien, danseur et costumier, nous raconte, sur un texte versifié, la vie de Jean Pitrau (1929-1975) interprété par Johañe Etchebarne. Paysan de souche, il s'est engagé dans le combat pour les conditions de vie des montagnards souletins. Le petit théâtre, dominé par les musiciens (cordes et anches emmenées par le tambour) ménage deux entrées : les «gentils » en bleu et à jardin (« Honneurs à vous, hommes de valeur ») et « les méchants » à cour et en rouge, stigmatisés par le diable qui gesticule au-dessus des tréteaux et hués par le public (des connaisseurs assurément!). Les déplacements et les gestes des personnages sont très codifiés et cadencés par le bâton qu'utilise le déclamant. Si la psalmodie oscille sur deux notes seulement, les duos, d'une fraicheur émouvante, et les parties chorales que vient diriger le chef communiquent une ferveur galvanisante. Liée intrinsèquement à la musique, la danse, elle aussi stylisée, consacre la beauté de ce rituel.

Après le premier entracte, le – Jack Liebeck, violon, , violoncelle et Amandine Savary, piano – est sur le devant de la scène pour interpréter le Trio de Ravel (1014), un joyau inaltérable achevé quelques jours après la déclaration de guerre, dans lequel Ravel emprunte au répertoire traditionnel basque. Il imprime en effet dans le premier thème du mouvement initial le rythme à cinq temps du Zortziko, danse d'origine militaire, lit-on dans les notes de programme, comme pouvait l'être le Verbunkos utilisé par Bartók dans ses Contrastes. On est d'emblée emmené par l'élan des trois instrumentistes dont l'interprétation des plus délicates ménage pudeur de l'expression et sensibilité de la ligne. Soudés par l'énergie qui fuse dans le Pantoum donné au juste tempo, les trois musiciens font naître l'émotion dans l'admirable Passacaille à laquelle ils confèrent un grain raffiné et la lumière ravélienne du Merveilleux. Les sonorités fusionnent très subtilement dans le Finale porté sans débordement vers le climax, dans un poudroiement lumineux qui nous enchante.

C'est en lisant le roman de Jean Echenoz qui retrace les dix dernières années de la vie de Ravel et les ravages d'une maladie qui va progressivement détruire ses fonctions motrices, que , originaire de San Sebastian et attaché à sa terre basque, conçoit le livret et la musique à venir de son opéra Ravel. Commande du Festival d'Automne, Ravel (Scènes) donné en création mondiale dévoile des fragments de l'œuvre en cours. est à la tête de l'Instant donné (deux partenaires dont on connaît l'excellence) pour servir une musique ciselée, exigeante autant que singulière, dont la dramaturgie sonore d'emblée nous étreint. « Les traces de la musique de Ravel sont ici érodées, brouillées, cryptées, cachées et effacées, comme un souvenir retourné et froissé du personnage » dit en substance le compositeur. Ça claque, ça gronde, ça gratte au sein de l'ensemble instrumental, dans un univers au registre sombre où l'énergie et le souffle y sont toujours contenus voire empêchés. Les deux personnages, celui de Ravel (le ténor suédois ) et de Valentine Hugo (la soprano française ) narrent différents épisodes de la vie du compositeur à travers une vocalité sans grand relief qui convainc beaucoup moins et pâlit face aux ressorts de l'écriture instrumentale. Sans doute manque-t-il à cet ouvrage en devenir sa véritable dimension scénique pour juger de l'efficacité de chaque composante.

« Nos paroles ne sont pas celles qui s'entendaient à la Table des Trois Rois. Elles sont faites pour s'adresser aux corneilles et aux corbeaux. Faites de la mousse qui recouvre les pierres, elles sont celles qui roulent dans les torrents ». Ainsi s'exprime en toute fin de soirée , virtuose du verbe basque, déclamant dans sa langue originale un de ses textes fondateurs. Après un solo de txülüla, cette flûte en roseau jouée d'une seule main et dont la mélopée imite le vol de l'épervier, le chœur féminin , chantant l'amour et l'attente sur des textes de Itxaro Borda, alterne avec le groupe de danseurs, six garçons en tenue traditionnelle (larges ceintures, bermudas blancs et chaussures de cordes). Leur prestation tout en souplesse et rebonds dans le silence intégral du Théâtre du Châtelet confère à ces figures rituelles une aura sacrée.

Crédits photographiques :  Concert au Théâtre du Châtelet (c) Festival d'Automne ; (c) Vincent Pontet

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