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Brahms, ses premiers chefs-d’œuvre pour cordes seules

Le , auquel sont associés Nicolas Pache et François Guye, nous offre une magnifique interprétation des deux Sextuors à cordes op. 36 et op. 18, dans cet ordre.

Il fut un temps où l'œuvre symphonique de n'était guère appréciée en France, sous prétexte que sa musique de chambre était nettement supérieure, notamment à ses symphonies supposées « massives et ennuyeuses ». Peu à peu, cette erreur d'appréciation se corrigea, mais du coup la musique de chambre eut tendance à être négligée à son tour. Par bonheur, de nos jours la situation est équilibrée, Brahms fait définitivement partie du fameux trio comprenant également Bach et Beethoven, plusieurs intégrales de son œuvre symphonique et sa musique de chambre sont disponibles, et par ailleurs des parutions isolées sont toujours les bienvenues, sous condition évidemment qu'elles soient comme celle-ci de la plus haute qualité.

Devenu courant en CD, même pour des historiques comme l'équipe Menuhin – Gendron ou le Quatuor Amadeus augmenté, le couplage des deux Sextuors à cordes de Brahms allait de soi du fait de leur côté plutôt élégiaque et pastoral, mais aussi par leur similitude de caractère et leur contenu psychologique et affectif, chacun d'entre eux étant intimement associé aux émois amoureux du compositeur : le Sextuor à cordes n°1 en si bémol majeur op. 18 (1860), d'une forme parfaite issue des grands classiques, mérite assurément son appellation de Frühlingssextet (Sextuor du Printemps) par l'heureuse poésie, la fraîcheur, la tendresse que l'on devine idéalement destinée à Clara Schumann. Seul l'admirable Andante, ma moderato sous forme de série de variations (forme particulièrement appréciée de Brahms et dont il était passé maître) possède cette gravité fervente qui en fait le sommet, et que Louis Malle saura d'ailleurs parfaitement utiliser pour mettre en valeur son célèbre film Les Amants (1958).

Le Sextuor à cordes n°2 en sol majeur op. 36 (1864) est un hommage curieusement tardif à la chanteuse Agathe von Siebold, seule femme avec qui il fut fiancé mais avec laquelle il avait rompu depuis longtemps : la fin du second thème de l'Allegro non troppo de forme sonate est écrite, selon la notation germanique, sur le nom d'A.G.A.T.H.E (la-sol-la-[ré]-si-mi). À propos de ce sextuor, Brahms a lui-même déclaré à Joachim « ici, je me suis délivré de mon dernier amour », ce qui donne à penser que Clara Schumann en était très probablement un autre, fût-il platonique. Quoi qu'il en soit, cette œuvre élégiaque et passionnée contient certainement l'un des secrets les plus enfouis de Brahms.

Le , superbement secondé par Nicolas Pache, alto, et François Guye, violoncelle, a préféré à juste titre placer l'opus 36, plus intérieur et en demi teinte, avant l'opus 18, plus direct et expansif. Leur interprétation est d'une ferveur admirable et d'une lisibilité extrême proche de l'idéal et absolument bienvenue dans ce genre d'œuvre où les textures ont souvent tendance à manquer de clarté, notamment dans les voix internes du contrepoint. La prise de son est impeccable. De plus, toutes les reprises étant respectées (ce qui est rarissime pour l'opus 18), on tient là une des versions les plus désirables, qui vient sérieusement concurrencer ses devancières les plus illustres comme celles du Quatuor Amadeus (DG) ou des membres de l'Octuor Philharmonique de Berlin (Philips), pour ne citer que les historiques.

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