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Le CCN de Nancy nous invite à découvrir des plaisirs inconnus

Après sa création mondiale au Sadler's Wells de Londres en octobre, Plaisirs inconnus se danse au Centre chorégraphique national de Nancy … et le secret sur le nom des chorégraphes est toujours bien gardé !

Comment apprécier une œuvre à sa juste valeur, sans être influencé par des paramètres extérieurs, le principal étant le nom et la réputation du chorégraphe qui a créé l'œuvre ? C'est la question que se sont posée Petter Jacobsson, directeur du CCN et Thomas Caley, coordinateur de recherche au CCN. Ne pas connaître ce nom, comme dans une dégustation à l'aveugle, permet d'être réceptifs à toutes les saveurs d'un programme. C'est ainsi qu'est né le projet de Plaisirs inconnus. Cinq chorégraphes ont été sélectionnés, à qui il a été demandé de créer chacun une pièce, tout en sachant que leur identité ne serait pas dévoilée. Cette condition n'a apparemment pas rebuté les quatre femmes et un homme qui ont finalement été retenus pour ce projet. Le secret est jalousement gardé ; aucun des directeurs des théâtres où le spectacle va tourner (New York, Oslo) ne connaîtra l'identité des chorégraphes.

L'idée est intéressante et ouvre une réflexion sur le rapport du spectateur à l'œuvre mais davantage que l'anonymat des chorégraphes, c'est la qualité des pièces présentées qui fait la réussite du programme. Ce sont en réalité quatre pièces dansées qui sont proposées. La cinquième pièce est constituée par les intermèdes chantés qui viennent s'intercaler après chaque danse. L'absence de rupture nette entre chacune des pièces crée une continuité entre elles et confère au spectacle une harmonie d'ensemble.

Le premier morceau se caractérise par la rotation permanente des danseurs, qui se déplacent en tournant sur eux-mêmes, en cercle, puis sur une seule ligne. Vêtus de t-shirts blancs avec une lettre écrite sur l'endroit et une autre sur l'envers, ils écrivent une phrase avec leurs corps. On parvient à discerner: « The world is burning ». Ce message fort traduit une forme d'urgence, un appel au secours qui contraste avec l'harmonie générée par la rigoureuse composition géométrique des déplacements et avec la sérénité qui se dégage de la musique répétitive et lumineuse.

Sans autre transition que deux danseurs qui viennent chanter un air aux sonorités africaines, le spectacle se poursuit avec un duo, structuré autour des déséquilibres et des oppositions, de la tension et du relâchement. Les danseurs se cherchent, s'enlacent, se fuient, tombent ensemble. Le tout avec une grande poésie et force d'expression. Puis, avec l'arrivée d'autres danseurs, la danse devient plus urbaine, avec des figures empruntées au break-dance, mais aussi des portés aériens et spectaculaires. Cet univers qui allie force, brio et fluidité nous envoûte par sa poésie.

Changement complet d'univers avec la troisième pièce. Les danseurs, habillés en académiques jaunes brillants, forment des ensembles à la composition rigoureuse, les lignes sont épurées dans un style plus néoclassique. Le rythme et l'intensité musicale vont crescendo et explosent non sans un peu d'outrance.


Pour la dernière pièce, on reconnaît sans peine la musique du Boléro de Ravel. Culotté, le (ou la) chorégraphe inconnu(e) qui s'attaque à la célébrissime musique joue avec les codes et multiplie les références à Béjart, tout en appliquant sa patte. Avec intelligence, il met en scène une mise en abyme, intégrant un couple de danseurs, qui racontent leur histoire. Le couple s'aime, s'amuse et vient finalement s'asseoir à l'avant-scène pour regarder le Boléro de Béjart, comme s'ils étaient eux-même au spectacle, avant de se mêler aux danseurs.

Sensibilité, humour, poésie, mélange des styles et des genres, effet de surprise ; ce spectacle est un plaisir pour les yeux et les oreilles. L'on s'abstiendra de faire toute supposition sur l'identité des chorégraphes, à qui l'on peut toutefois reconnaître un point commun : le talent !

Crédits photographiques: Plaisirs inconnus, CCN © Arno Paul

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