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Scheherazade.2, œuvre-monde de John Adams

Scheherazade.2 : tel est le nom de cette nouvelle œuvre-monde signée , « symphonie dramatique » – au sens « berliozien » du terme – pour violon et orchestre, opéra sans parole pour notre monde d'aujourd'hui, et ses femmes en particulier. Car la Schéhérazade d'Adams se veut plus dense que celle de son aïeul Rimsky-Korsakov, portant en elle toute l'expérience et la mythologie qui peuvent exister autour de la figure des femmes vivant aujourd'hui au Moyen-Orient. 

Pour porter l'histoire de notre Schéhérazade du XXIe siècle, en proie à la fois à un amour infini et aux persécutions des « vrais croyants » (« true believers »), Adams use d'une partition foisonnante, riche et profuse, à tel point que l'on finit par se perdre dans le dédale labyrinthique des entrelacs de motifs.
Son orchestre d'une folle richesse (Rimsky n'est peut-être pas si loin…), gorgé de cymbalum aux teintes enivrantes – qui n'est d'ailleurs pas sans évoquer son oratorio de la Passion The Gospel According to The Other Mary (2012) -, nous emmène loin, bien loin. De la fougue et du vent chaud qui traversent le premier mouvement Tale of the Wise Young Woman – Pursuit by the true believers, à la merveille d'ambiguïté qu'est A Long Desire : Love Scene, dont le véritable mur de cordes initial à la tendre âpreté offre un des paysages les plus spectaculaires de l'œuvre, la nouvelle symphonie d'Adams dévoile tous ses charmes. La pièce continue avec la folle course poursuite de Schéhérazade face aux « men with beards », qui ancre, comme Adams aime le faire, son travail dans une actualité brûlante. Sorte de synthèse de toutes les émotions précédentes, le finale Escape, Flight, Sanctuary se trouve sublimé par ses dernières minutes en apesanteur, où comme suspendue au dessus d'un monde qui ne sait la comprendre, notre Schéhérazade universelle trouve (enfin) le repos et l'apaisement au sein de ce « sanctuaire » éthéré, en compagnie d'autres femmes (ou non, Adams laisse l'auditeur terminer lui-même sa propre histoire).

Même si l'œuvre contient quelques longueurs (quasi-inévitables pour une pièce aussi développée de près d'une heure), on s'attardera sur les trouvailles d'un qui ne cesse de se réinventer constamment (notamment orchestralement), ne cédant jamais au désir de refaire deux fois la même œuvre.

Cette Schéhérazade est aussi l'identification musicale de sa dédicataire et créatrice, la violoniste . Dans ce méta-concerto taillé sur mesure pour son Guarnerius aux teintes sombres, le son chaud et lyrique de la soliste se fait le porte-parole engagé du message « adamsien », au jeu d'une rare sensualité, comme dans l'incroyable Love Scene, où elle se trouve être bouleversante d'intensité.

Créée en 2015 par le New-York Philharmonic dirigé par Alan Gilbert, l'œuvre est confiée ici au et à . En fins connaisseurs du compositeur, chef, orchestre et soliste donnent le meilleur d'eux-mêmes dans cette partition marquante, mêlant Éros et Thanatos dans ce cadre si actuel et universel du mythe de Schéhérazade, trouvant grâce à une résonance actuelle des plus vibrante.

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