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Et Lux, liturgie imaginaire de Wolfgang Rihm

Un Requiem comme le souvenir d'un cérémonial très ancien et très lointain dont on ne retiendrait que des bribes de texte, et surtout le mot « lumière » : telle est la genèse de Et lux de , rituel étrange et envoûtant donné sous la haute voûte de l'église Saint-Eustache à Paris, dans un dispositif scénique étonnamment réduit.

Ce n'est pas la première fois que le compositeur allemand, qui se dit « doué pour la mystique », emprunte aux textes sacrés. Figurent, dans un catalogue de près de cinq cents opus, un Requiescat composé à l'âge de 17 ans, un oratorio Dies (1984), Deus passus, une Passion d'après l'Évangile de saint Luc (2000)…

Et Lux a été écrit en 2009 pour le Quatuor Arditti et les quatre voix du Hilliard Ensemble. , qui dirige ce soir le et son propre , en a doublé les parties vocales (version 2011 à huit voix). Dans cette œuvre éminemment personnelle, qui invite à une écoute « recueillie », le compositeur refond entièrement le texte liturgique latin, en tirant des différentes parties du Requiem quelques fragments et mots (Libera, Et Lux) qui vont conduire la dramaturgie : un drame intimiste assurément, presqu'austère, où toute extériorisation se voit limitée par l'économie des forces en présence. Durant les premières minutes, la polyphonie des voix se fond à celle du quatuor à cordes dans un espace resserré et un jeu d'interférences des deux sources sonores qui semblent évoquer les moirures d'un vitrail coloré. Le temps y est très étiré et le texte lentement déroulé, sinon répété, aux confins du silence et de l'immobilité. Pour autant, la trajectoire (plus d'une heure de musique) accuse des ruptures, amenées par les intermèdes du quatuor à cordes et un traitement sonore des plus diversifié : violence des pizzicati-Bartók et matière saturée aux cordes, diversifications des couleurs de l'ensemble vocal dont la tension expressive du chant modèle le relief des dynamiques. Dans la notice de programme, Martin Kaltenecker avance l'idée d'un « figuralisme » attaché à la signification du texte.

Si la beauté des voix de l' portées par l'acoustique des lieux, et si le raffinement de l'interprétation fascinent, on aurait aimé s'immerger davantage encore dans l'espace intime de ce cérémonial : en imaginant peut-être une autre disposition du public, en cercle autour des musiciens, avec l'éclairage naturel aux bougies… comme on écoute Stimmung de Stockhausen.

Crédits photographiques : Agence Magnum

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