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Le nuancier des gris de Jérôme Combier

Éroder, gratter, effacer sont autant de gestes qui hantent le monde sonore de , comme pour retrouver un état originel de la matière qu'habiteraient le souffle et la pure énergie. Interprétées par l' que le compositeur a fondé en 1997, les cinq pièces de ce nouvel enregistrement monographique, où domine l'univers des cordes, poursuivent cette exploration des territoires de l'ombre.

« Sombre nuancier » note Matthieu Nuss dans la notice du CD, s'agissant du « paysage » des cinq pièces de l'enregistrement. Dans Gone (2010) pour petit ensemble et électronique, qui donne son titre à l'album, Combier façonne ses nappes sonores dans le grave des registres dont l'électronique vient agrandir l'espace et amplifier le mystère. La matière sonore est malmenée, entre énergie et relâchement du geste, dans un temps très discontinu et une instabilité constante. Gone invoque Beckett (Solo) comme le trio à cordes Noir gris (2008), son frère d'ombre ressassant la même figure mélodique. C'est sur le texte de L'Impromptu d'Ohio, son articulation et ses phrases que Combier élabore la musique de Noir gris et fonde sa cohérence.

Terra d'ombra pour piano, harpe et violoncelle, dont le titre est emprunté à l'œuvre éponyme de Giuseppe Penone, renvoie, comme chez le sculpteur, à un rendu sec, mat et âpre d'une matière qui se métamorphose sous l'effet du geste instrumental : coups portés sur la caisse des instruments, archet écrasé sur la cordes ou tiré avec le bois, bruissant métallique de la harpe. La violence du geste le dispute à l'inertie du matériau dans une énergie qui rappelle parfois celle des Arts martiaux. La guitare est face au violoncelle dans Dog eat dog (Œil pour œil), sorte de joute sonore musclée aux dimensions théâtrales. Combier s'ingénie à étouffer les résonances de la guitare, détournant l'instrument de son jeu traditionnel. « Noir en écaillure de gris, gris s'assombrissant de poussière […] Il n'y a jamais de noir absolu dans cette musique » dit encore Mathieu Nuss qui décline poétiquement le champ lexical de l'ombre. Dawnlight (Lumière de l'aube), la pièce la plus récente de cet album, est écrite pour le danseur chorégraphe . Sons de synthèse et jeu instrumental composent une matière habitée de souffle, chuintement et autres morphologies hérissées d'explosions en chaîne… avant que la partie électronique n'emprunte les rythmes et bruits de gorge du Katadjak, chant Inuit pratiqué par les femmes en manière de jeu, qui évoque la transe au centre de la pièce.

Familier d'un univers qu'il partage depuis près de vingt ans avec le compositeur, et rompu aux techniques de jeu qu'engage la musique de Combier, l' est ici au plus près de la matière et de son devenir.

 

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