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Crise, la charge de Nicolas Bacri contre l’atonalité

Dans ce livre le compositeur dénonce la mainmise de l'idéologie néo-sérialiste sur la musique du XXe siècle. Il tente de démontrer ce que fut cette « orthodoxie moderniste » et les effets, délétères selon lui, qu'elle a eus sur maints musiciens et sur la réception de la musique en général.

ne s'en cache pas, il a lui-même brièvement subi, jeune, l'emprise du courant musical fondé sur l'atonalité. Et il se définit aujourd'hui, lui-même, comme un « compositeur traditionaliste ». Il est important de poser cela avant d'explorer plus avant ce livre, suite d'une première série de notes sur la musique, publiées sous le nom de Notes étrangères chez Séguier, en 2004. Il s'agit en fait d'un texte polémique : en plusieurs temps, revient sur tout le mouvement musical contemporain, surtout après le Deuxième Guerre Mondiale, et tente de démontrer la mainmise du courant issu de L'École de Darmstadt, autour du rejet de la tonalité et dans la continuité de l'œuvre de Schoenberg. Occasion pour l'écrivain-compositeur de faire quelques distinctions utiles, par exemple entre la tonalité en général et le système tonal tel qu'il s'est épanoui en Europe du XVIIe au XIXe siècle. Mais le livre souffre de plusieurs défauts, dont on pourra retenir deux principaux.

Le premier reproche concerne la forme de l'ouvrage, construit certes en plusieurs temps bien délimités, mais terriblement répétitif. Et un tantinet fourre-tout, avec en complément du texte principal, « Crise », quelques notes écrites pour des programmes, quelques entretiens et un court essai sur le musicien .

Le second concerne davantage le fond du propos et l'on se demande longtemps, le lisant, quelle est la vraie pensée philosophique du musicien, quelle est sa posture au fond ? Il écarte lui-même celle de réactionnaire (mais qu'il songe à l'écarter en dit long), ou de conservateur, mais aussi celle de progressiste, revendiquant plutôt une position indépendante, divergente (il y a beaucoup d'autojustification dans ce livre.)

Mais pour le lecteur mélomane la frustration vient surtout de ce que, s'il cite (parfois abondamment), les musiciens à qui il reproche leur dépendance par rapport à ce courant dominant, il ne parvient pas à établir de vraie liste des musiciens qui n'ont pas tourné le dos à la tonalité et à l'émotion esthétique et qui selon lui sont l'avenir de la musique. Il y a bien de belles pages, un peu ambiguës d'ailleurs, consacrées à Henri Dutilleux, d'autres dédiées à Chostakovitch ou à Britten, une minime allusion à Olivier Messiaen, mais ces grandes figures mises à part, les noms qu'il propose semblent largement inconnus et les œuvres très difficilement accessibles ; un court sondage dans une discothèque en ligne très bien fournie a pu en convaincre. Par exemple concernant le musicien britannique très souvent cité dans ces pages.

Un livre basé donc plus sur l'attaque d'un système que sur une proposition d'ouverture vers d'autres choix esthétiques. Ce que le lecteur attentif regrette d'autant plus qu'il aura pu recueillir bien des points de vue passionnants sur l'écriture musicale, sur la communicabilité de la musique, sur le rapport entre le désastre moral de la dernière guerre et les arts, sur le processus créatif. Il reste à Nicolas Bacri à écrire un plaidoyer, fut-il pro domo, pour la musique qu'il aime et qu'il écrit, en donnant des pistes d'écoute, ainsi que des indications bibliographiques et discographiques.

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