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John Adams par John Adams à Paris

Au terme d'une tournée entamée à Londres et à l'Opéra de Dijon, le sous la direction du compositeur américain faisait halte à la Philharmonie de Paris pour un week-end thématique autour du musicien. Au programme, répertoire, classiques et créations du maestro Adams, lors de soirées riches en émotions.

Le souffle et le parfum de Shéhérazade 

Le geste du chef d'orchestre est abrupte, taillé à la serpe. Il convient finalement assez bien au Images Hongroises (1931) de Béla Bartók, mettant ainsi en relief à la fois le caractère brut de ces miniatures, tout en laissant la place à la délicatesse et à l'espièglerie d'une clarinette solo (Soirée chez les Sicules, Un peu gris).

Le son du London Symphony saisit d'emblée dans Orpheus (1948) d'Igor Stravinsky. Les apprêts translucides de cette musique (Introduction) sont ici magnifiés par une douceur impalpable et une remarquable homogénéité, conférant à la beauté néo-classique de l'œuvre un aspect chambriste ensorcelant – même si dans ce cas, la baguette d'Adams se fait par moments un brin trop rêche. Mais le plat de résistance de la soirée arrivait à grand pas, avec la création française de Scheherazade.2 (2015), d'Adams lui-même, nouvelle oeuvre phare du musicien.

L'idée de cette longue oeuvre (50′) a germé dans l'esprit du compositeur à la suite de la visite d'une exposition à l'Institut du Monde Arabe traitant de la mythologie des contes des Mille et Une Nuits. Le compositeur fut d'emblée saisit par l'actualité que revêt le mythe de Shéhérazade dans lequel se trouvent être incarnées toutes les femmes oppressées à travers le monde. Il décida de faire de la princesse persane le personnage central de cette nouvelle oeuvre, dont « l'argument » de cette « symphonie dramatique » au sens berliozien pourrait se dérouler de la manière suivante. Une sage et belle jeune femme se fait poursuivre par de « vrais-croyants » (I. Tale of the Wise Young Woman—Pursuit by the True Believers), situation à laquelle succède une scène d'amour à la fois âpre et tendre (II. A Long Desire – love scene). Notre Shéhérazade est alors jugée par « les hommes à barbes » (III. Scheherazade and the Men with Beards), pour finalement s'échapper et trouver refuge dans un sanctuaire imaginaire et éthéré (IV. Escape, Flight, Sanctuary). Sans revenir en détail sur une oeuvre dont nous chroniquions récemment la parution au disque, saluons en toutefois encore la puissance évocatrice, ainsi que les trouvailles harmoniques et orchestrales.

En guise de préambule, le compositeur saisit le micro afin de présenter au public sa nouvelle pièce, en français dans le texte malgré la barrière de la langue (« Je crois tout de même mieux parler français que notre nouveau président » déclare-t-il), et en profiter pour introduire telle une rock-star « sa » Shéhérazade, l'exceptionnelle violoniste . Exceptionnelle car sous son archet de feu chaque note se trouve être investie, incarnée, pensée, réfléchie, expérimentée et mûrie. Rarement nous pouvons évoquer réellement l'interprétation d'une oeuvre contemporaine, et ce pour des raisons compréhensibles (peu d'interprétations, de temps de répétition, etc). Louons ce soir le violon incandescent de , personnification de toutes les Shéhérazades de notre temps.


« Alta, desnuda, única. Poesía. »: El Niño, oratorio de Noël

Créé en 2000 au Théâtre du Châtelet dans une mise en scène de Peter Sellars et repris aujourd'hui en version de concert, El Niño est un oratorio de Noël en deux actes, passant de l'Annonciation à la Nativité dans le contemplatif acte I, pour se terminer dans un acte II plus dramatique traitant du Massacre des Innocents et de la Fuite en Egypte. Une oeuvre où se croisent à la fois textes bibliques et écrits de poétesses sud-américaines comme la Sœur Juana Inès de la Cruz ou Rosario Castellanos, ancrant comme à l'habitude d'Adams une histoire sempiternelle dans l'actualité (la condition féminine cette fois en Amérique Latine).

Comme lors du concert de la veille, on aura été frappé par l'investissement total des musiciens du LSO et l'incarnation du plateau vocal, au premier rang duquel on retiendra la voix de la jeune soprano , dont le timbre pur et inondé de lumière ferait presque oublier celui de  la créatrice de l'œuvre, notamment dans un Magnificat resplendissant. Le reste de la distribution est à l'avenant, notamment le baryton de , aussi intense dans le désespoir de Joseph (Now She Was Sixteen Years Old), la rage d'Hérode (tragique Shake the Heavens), ou dans la contemplation du ciel étoilé de Joseph's Dream. Le mezzo de ne se hisse pas quant à lui aux sommets de sensibilité de Lorraine Hunt lors de la production de 2000, bien qu'on saluera son timbre ample, mis en valeur notamment dans Pues Mi Dios Ha Nacido A Penar dont la candeur poignante ouvre l'acte II. La particularité de l'œuvre est également due à l'utilisation d'un trio de contre-ténors (, et ), déroulant telles des enluminures les textes saints, le plus souvent dans des teintes archaïsantes serties de voluptueuses dissonances.

Car la force de cette oeuvre réside (comme souvent chez Adams) dans la puissance de l'écriture vocale et des ensembles (finale du I The Christmas Star hallucinant de scintillements), n'hésitant pas à s'abandonner dans la luxuriance d'une orchestration chatoyante et inouïe.

Clôturant l'œuvre, A Palm Tree montre Marie et Joseph fuyant vers l'Egypte le Massacre des Innocents ordonné par le Roi Hérode. Le couple s'arrêtant à l'ombre d'un palmier, et c'est le tout jeune Jésus qui adresse à l'arbre de rafraîchir et nourrir sa mère. De cet épisode (aux singulières résonances avec les milliers de migrants fuyant la guerre), Adams tire le plus beau de cet oratorio : un vitrail resplendissant, une rosace de couleurs enivrantes et tourbillonnantes sur laquelle vient se poser comme un apparition un séraphique chœur d'enfants (belle Maîtrise de Radio-France), chantant de la manière la plus simple qui soit les doux vers de La Palmera de Rosario Castallanos qui se terminent ainsi: « (…) Desde el país oscuro de los hombres / he venido, a mirarte, de rodillas. / Alta, desnuda, única. Poesía. » (« Du sombre pays des hommes / je suis venu pour vous regarder, à genoux / Haute, nue, unique. Poésie »).

Crédits photographiques : © Deborah Ogrady ; John Adams dirigeant le le 10 décembre 2016 © Philharmonie de Paris

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