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Kamchatka, le premier opéra de Daniel D’Adamo au Théâtre Dunois

On avait apprécié son monodrame La Haine de la musique, donné à la Maison de la Musique de Nanterre en février 2015. Avec Kamchatka, le compositeur franco-argentin Daniel D'Adamo signe son premier ouvrage lyrique. Créé en novembre 2016 au Teatro Colón de Buenos-Aires, l'ouvrage est donné dans sa version française au Théâtre Dunois pour sept représentations tout public et dix séances scolaires.

Kamchatka est à l'origine un scénario de film écrit par puis un roman, fort célèbre en Argentine, du même auteur. C'est ce dernier qui est en charge de l'adaptation du livret d'opéra de Daniel D'Adamo. Après L'Ombre de Venceslao de Lavelli/Matalon, Kamchatka nous replonge dans l'histoire politique de l'Argentine, ses coups d'État et la dictature mise en place par le général Jorge Rafael Videla en mars 1976. On y retrouve les thèmes récurrents du voyage, de l'exil et de la pluie qui traversent le drame de cette famille (un père, une mère et deux enfants) victime de la répression, qui est obligée de se cacher pour survivre. Mais l'histoire passe par le récit de l'un des enfants – alias Harry – qui met à l'œuvre le rêve et l'illusion pour tenter d'échapper à cette situation de détresse : en empruntant l'identité du magicien Harry Houdini, le maître de l'évasion, dont il a découvert le livre et qui va l'aider à s'échapper de la réalité. Houdini apparaît dans l'histoire comme un personnage fantasmé par l'imagination de cet enfant. Kamchatka, c'est cette terre volcanique de Sibérie qui est évoquée lors des séances de jeu (le Risk) d'Harry et de son père. Elle s'érige symboliquement en terre de refuge face à la dictature. Figueras fait surgir de son récit des temporalités – flashbacks, narration, réflexion… – et des espaces pluriels, réels et imaginaires, qui tissent une dramaturgie un rien dense et complexe dont l'auditeur peine à percevoir les différentes strates. Question de lisibilité scénique peut-être, car les trois lourds panneaux sur lesquels est projetée la vidéo réduisent drastiquement l'espace et le déplacement des personnages. On les retrouvera parfois perchés sur de grands escabeaux, le metteur en scène et scénographe sollicitant les deux dimensions du plateau très/trop confiné. La vidéo fort sollicitée relaie efficacement le propos et tente, avec les éclairages, d'ouvrir sur d'autres espaces.

Les quatre musiciens – piano, percussions, clarinette et violoncelle de l' très investi – occupent quant à eux le fond de scène. L'écriture instrumentale foisonnante autant que ciselée conçue par D'Adamo suit de très près la conduite des voix et les allures de la dramaturgie : en assurant les relances, en renouvelant sans cesse les couleurs de la toile spectrale, et en tirant tout le parti du piano et de la percussion mis au service de l'action : avec l'intervention d'une sirène, les effets bruitistes des peaux et métaux et l'impact efficace des chocs mats des cordes du clavier dont le pianiste – en charge de la direction musicale – étouffe les résonances.

Il n'y a que trois interprètes sur scène (le Père/, la Mère/ et Harry/). Lucas, l'adolescent en fuite, qui rejoint la famille au mitan de l'œuvre, étant incarné par le même . Des voix off surviennent par instant au sein d'un spectacle par ailleurs légèrement amplifié. Plus chanteurs que comédiens, les personnages doivent pour autant assumer les deux rôles, D'Adamo choisissant de traiter le texte du livret – relativement long et dense il est vrai – entre dialogue parlé et séquence chantée. Même si le passage de l'un à l'autre est fluide, la solution reste risquée pour les chanteurs et ne convainc pas pleinement, quand bien même certaines scènes de mélodrame (la voix parlée sur la musique) fonctionnent mieux que d'autres. La voix chantée demeure très près du texte qui doit être compréhensible en l'absence de surtitres. La diction est claire et le timbre agréable de la soprano pour qui D'Adamo écrit un long monologue sur la souffrance, qui n'évite pas un certain pathos. La voix du baryton est vaillante et bien timbrée quoique sous tension permanente, même dans le rôle de Lucas. Révélation de la soirée, le ténor de est davantage ductile et nuancé, le chanteur endossant son double rôle écrasant avec une énergie rayonnante et une aisance tant scénique que vocale.

Des qualités qui portent indéniablement ce spectacle durant quelques 80 minutes même si la tension de l'écoute peut parfois se relâcher. En cause, peut-être, l'atmosphère d'un huis-clos uniformément sombre et néanmoins labyrinthique où l'auditeur tend à se perdre sans en apprécier toujours les rebondissements pluriels.

Crédit photographique : © Théâtre Dunois

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