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Ravel d’après Ravel sous les doigts de Junko Okazaki

Artiste discrète, est une grande habituée de la salle Gaveau. En présentant un programme presque identique à son récital organisé la saison dernière dans ce même lieu à l'occasion du 140e anniversaire de , l'un de ses compositeurs de prédilection avec Frédéric Chopin et Gabriel Fauré, la pianiste japonaise propose avec subtilité, pudeur et élégance une sorte de retour aux sources en défendant la vision interprétative ravélienne de son maître, .

« Le plus important, c'est le respect de l'œuvre. Jouer ce qui est écrit, en mettant ce qu'il y a derrière les notes, ne pas craindre de se projeter […] Il faut avoir la sensibilité à fleur de doigts. Ne pas rester à la surface du clavier, mais entrer dans le clavier. Faire naître l'œuvre, comme une vie nouvelle qui s'éveille… Trouver le temps juste, rien à voir avec la rigueur du métronome, mais la pulsation interne, la sensation que l'interprétation tient debout dans sa fluidité. Quand on a compris cela, le jeu de piano devient évident. » démontre encore ce soir qu'elle s'est totalement imprégnée des paroles de son ancien professeur , autant à l'honneur ce soir que la musique de . Parce que la transmission est au cœur de sa démarche artistique, ce concert marque également la publication complète des œuvres de piano de Ravel avec les annotations de son professeur qui a travaillé l'intégralité de ces pièces auprès du compositeur lui-même, des indications d'interprétation uniques extrêmement nombreuses. En charge de cette transcription, c'est une édition bilingue (japonais/français) de sept volumes qui est présentée par .

Sans la moindre exagération ni excès, c'est une musique colorée, parfois lumineuse, parfois ombrée, déployée par le biais d'une parfaite technique et d'une virtuosité toute en sobriété, qui est proposée. Dans une précision sans pareil et avec une belle pureté du trait, la pianiste concilie le naturel du Menuet antique avec les sonorités tour à tour brumeuses, cristallines et parfois acides de Noctuelles. L'écriture émiettée des mystérieux Oiseaux tristes, l'appel de l'oiseau traînant entre deux roulades et son prélassement tout en dissonances sur des basses mouvantes, se distingue de l'écriture fluide et continue de la partition étincelante d'Une barque sur l'océan, parfait éloge des arpèges représentant le bercement des vagues et l'ondulation de la barque.

La pianiste dose parfaitement la pédale pour atteindre une sonorité lumineuse de l'instrument. C'est assurément une vérité du style qui est minutieusement recherchée à travers des grupetti mourant sur une note claire, la mesure dans l'expression et une certaine « rigueur » dans le rubato. C'est avec souplesse qu'elle noue et dénoue les mélodies de Sonatine et de Gaspard de la nuit sans briser l'élan lyrique de cette musique, dans une tendre nostalgie.

Ravel se servait du monde réel pour dissimuler sa vérité intérieure. Junko Okazaki soulève le voile avec la même pudeur dans une enveloppante étrangeté où se perdre reviendrait à se trouver.

Crédit photographique : Junko Okazaki © JC De Forceville

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