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Kader Belarbi présente son Don Quichotte au Capitole de Toulouse

, danseur étoile de l'Opéra de Paris devenu directeur du en 2012 est aussi un chorégraphe qui multiplie les créations pour sa compagnie. Après Le Corsaire en 2013 et Giselle en 2015, il prépare sa version de Don Quichotte qui se donnera au Capitole à partir du 22 avril 2017. Une version épurée, plus proche du texte de Cervantès et destinée au public d'aujourd'hui.

ResMusica: Don Quichotte est le troisième grand ballet classique que vous remontez après Giselle et Le Corsaire : qu'est-ce qui vous inspire dans ces ballets et quelle est votre démarche de création ?

: Pour moi, un ballet doit être muséal dans le bon sens : c'est-à-dire ne pas renier ce qui a été fait dans les ballets historiques, mais les faire vivre en retravaillant cette matière avec des interprètes qui sont ceux d'aujourd'hui. C'est ce que je tente de faire. Dans le ballet classique, il y a beaucoup de gratuité. Quand je reprends un ballet patrimonial comme Giselle, je ne me contente pas de changer une glissade et un assemblé. J'ai réécrit entièrement le premier acte de Giselle et n'ai gardé que la variation mythique de Giselle. J'ai changé d'univers en transposant la scène des vendangeurs dans un univers à la Brueghel, j'ai enraciné des danses. J'appelle ça une vérité chorégraphique. J'ai remis de la lettre et de l'esprit dans le deuxième acte. Je suis remonté jusqu'en 1841 en faisant des recherches à la Bibliothèque de l'Opéra de Paris et j'ai nuancé ce deuxième acte. Voilà comment on peut donner une essence d'aujourd'hui à un ballet historique, sans en trahir l'esprit.
Il ne faut pas changer la technique classique, en revanche il y a une manière de l'incorporer et de l'incarner. Attention à la pantomime désuète ! Il est nécessaire de codifier certains gestes mais avec les codes d'aujourd'hui. Je préfère que les choses soient tellement authentiques et incarnées qu'elles partent de l'intérieur pour rayonner vers l'extérieur.

RM : À quoi va ressembler votre nouvelle version de Don Quichotte ?

KB : Ce qui m'a intéressé dans Don Quichotte, c'est qu'il y avait une production existante, mais pas suffisante pour moi. J'ai réinventé un prologue et un deuxième acte, j'ai conservé le premier et le troisième actes et j'ai réaménagé les costumes de Joop Stokvis, qui a été pendant trente ans le costumier de Jiří Kylián, dans un sens économique. Je n'aurais jamais fait cela si j'avais fait un nouveau Don Quichotte : le challenge était de parvenir à entrer dans une forme de compromis sans me compromettre.
 Ensuite, j'ai revisité toute la musique de Minkus. Il y a un nombre d'orchestrations phénoménal en Russie. Nous avons un standard de Don Quichotte mais, en réécoutant toute l'œuvre, je me suis fait une dramaturgie nouvelle. J'ai souvent dansé ce ballet, mais je n'ai jamais compris pourquoi Basilio est un barbier au premier acte et puis, au troisième acte, il met un boléro et devient un toréador. J'ai choisi d'éliminer Espada, et Basilio devient le plus beau toréro du monde entier dont Kitri est folle amoureuse ! Cela simplifie les choses et rend consistant le personnage.

« Mon challenge pour Don Quichotte, c'est d'entrer dans une forme de compromis sans me compromettre. »

De même pour Gamache, le dandy ridicule que je considère comme un parasite. C'est un divertissement inutile à mon sens. Tout Gamache est dans Don Quichotte. Je me suis donc débarrassé du personnage. Cela resserre le propos et la dramaturgie.
Quand on relit Cervantès, on voit que le fil conducteur c'est Don Quichotte et Sancho Panza, pas Kitri et Basilio. Sinon on est dans l'espagnolade, le brio et la gratuité. J'ai décidé que Don Quichotte aura la dame de ses pensées, sa Dulcinée au prologue, dans la réalité du premier acte, dans le deuxième mais aussi dans les troisième et quatrième actes. Il faut un fil conducteur.
Pour moi, il y a beaucoup de petites aberrations comme les dryades qui dansent sur une musique militaire et Cupidon avec sa perruque ridicule. J'ai déplacé la scène dans un marais, et les dryades deviennent des nymphes des eaux, des naïades. C'est plus sympathique pour la scène de la vision et je trouve que la passerelle est plus facile à sentir et comprendre.
 Au bout du compte, l'histoire reste la même mais ce sont des nuances.

RM : Comment travaillez-vous sur cette nouvelle création?

KB : J'effectue les répétitions en trois sessions. Il y en a eu en juillet, une deuxième à Noël et là on repart pour cinq semaines afin d'agencer tout le ballet. L'essentiel est fait. J'ai chorégraphié beaucoup de pas mais ce n'est pas fini. J'invente la nuit, j'écris le matin, je filme la répétition, je retravaille et on recommence ! On a deux mois pour faire un ballet entier.
J'ai trois distributions de solistes, trois couples de Kitri/Basilio, de Mercédès/Esteban et deux couples de Don Quichotte et Sancho. Je le fais parce que mes danseurs le peuvent.

« De la chorégraphie initiale de Don Quichotte, il ne reste que des principes. »

RM : Que reste-t-il de la version initiale ?

KB : De la chorégraphie initiale, il ne reste que des principes. Sauf peut-être l'entrée de Kitri au premier acte, mais comme j'ai mis Basilio en torero, la scène se passe un jour de marché et de feria donc cela change la donne. Et il y a des musiques que l'on ne connaît pas. C'est toujours du Minkus dans des transcriptions d'orchestrations que j'ai trouvées en Russie et qui existent dans d'autres versions que celle de Petipa.
Je travaille avec , qui est directeur musical à Covent Garden et avec qui j'ai travaillé pour la Reine morte. Je lui ai demandé d'arrondir la musique et de lui enlever son caractère un peu pompier tout en respectant l'esprit. Cela donne des humeurs, un sens et j'espère un style.

RM : Avez-vous l'intention de remonter à nouveau un classique du répertoire ?

KB : Je ne sais pas. Il y a un grand ballet qui se prépare pour la saison prochaine mais je ne sais jamais à l'avance si ce sera une relecture ou autre chose. C'est une conjonction d'ingrédients. Je dois penser à mes danseurs, à ce dont ils ont besoin à ce moment-là. Je perçois les qualités et les lacunes de la compagnie. Les fondations, cela met du temps. Je pense qu'il faudra encore deux ou trois saisons pour que la compagnie soit complètement posée.

RM: Le Corsaire se donne au Théâtre des Champs-Élysées pour trois dates en juin. C'est la première fois que le part en tournée à Paris : qu'est-ce qui l'a rendue possible ?

KB : Depuis cinq ans que je suis à la tête du , je me suis souvent dit qu'il fallait essayer d'aller à Paris. Paris est un port d'attache qui donne une crédibilité à l'international. C'est une fierté de se dire que le Théâtre des Champs-Élysées nous reçoit, c'est historique pour le Ballet du Capitole. La saison se clôt en beauté avec Giselle à Montpellier Danse, Valser à la Maison de la Danse de Lyon et Le Corsaire au Théâtre des Champs-Élysées. C'est une jolie palette.

Propos recueillis à Toulouse le 11 mars 2017.

Crédits photographiques : © David Herrero

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