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Seong-Jin Cho, pianiste du monde flottant

Mozart, Debussy, Chopin… De passage au Teatro Morlacchi de Pérouse, poursuivait une tournée italienne printanière, qui l'a mené également à Macerata et Vérone.

C'est avec la glaçante légèreté de la Sonate K 332 de Mozart, que ouvre ce concert, distanciation brillante à la main droite, sombre flux de la main gauche. Le détachement des ritournelles de l'Allegro, ponctué de silences que Cho étire à peine, confirme le suspens et le drame obscur mozartien qui rôde profondément sous la nonchalance des phrases musicales.

L'Adagio est tout en lenteur et tristesse voilée, portées par la douceur du chant. La pureté du jeu, la clarté des ornements à peine ponctués de discrets rubati, l'élégance et l'extraordinaire bon goût de Cho nous émerveillent chez ce si jeune interprète qui semble toujours être en contact direct avec le compositeur, avec pour seule volonté l'apothéose de sa musique.

L'Allegro assai, qui resplendit de couleurs, intime et consolateur, oscille entre mélancolie fluide, « insoutenable légèreté de l'être » et déchirures irrémédiables, avant une fin sous forme de sourire en demi-teinte.

Images du monde flottant

Reflets, bulles de soleil des aigus légers, caresses du vent sur l'eau de la main droite, frémissements des nymphéas… Les Images de Debussy se font hologrammes sous les doigts d'ivoire de . Ils effleurent à peine les notes et semblent flotter au-dessus des touches, posés sur l'eau qui les balance, en un déséquilibre parfait.

Seong-Jin Cho élargit la gamme des sonorités, explore le timbre de l'instrument, construit des formes inconnues, rêve d'un monde idéal et nous offre « la vibrante beauté du son lui-même », celle qu'espérait créer Debussy.

Après un Mouvement animé, mains arrondies au centre du clavier, ses Cloches lointaines sonnent, légères, dans le ciel de Pâques, porteuses d'un cadeau. Le pianiste nous offre un espace transparent, un refuge aérien. Sa maîtrise des sons et des longs silences, l'élasticité du tissu qu'il modèle, nous enveloppent d'une étrange sérénité. Et la lune descend sur le temple qui fut… Comme si le pianiste pressentait l'urgence de Debussy à recréer un monde évanescent, changeant, éphémère, toutes dissonances mises en harmonie. Un monde flottant où nous renaîtrions en nous abandonnant à sa fluidité, comme des Poissons d'or furtifs et vibrants.

Ballades suspendues

Dès les premières notes de la première Ballade, Cho déconstruit la mesure et nous tient en suspens. Précision et clarté des tumultes, jeux de caresses liquides, alternance de questions et réponses roucoulées… Cho joue ces quatre morceaux au-delà du rubato, étirant à peine le temps, de l'intérieur, avec de longues respirations qui allongent le rythme. Son interprétation dévoile un Chopin antithétique du cliché précieux, un Chopin contestataire par son outrance d'élégance même, avec une grâce qui dérange les équilibres acquis. Jamais sentimental, et pourtant poignant parfois, Cho nous emporte sur sa barque au gré des ondes musicales dans une sorte d'ivresse et de vertige bienheureux.

Cho a offert au public deux bis. Le 3e Moment musical de Schubert soufflé comme deux plumes, puis la Golliwogg's cakewalk de Debussy, drôle, endiablée, jazzy !

Photo : © Harald Hoffmann / DG

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