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Les séduisants paysages intérieurs du Schumann Quartett

Le dernier enregistrement du est envoûtant de bout en bout.

La musique de chambre, parfois, est une affaire de famille. Les trois frères Schumann se plaisent à rappeler quels liens de sang les unissent, et veulent expliquer par eux la connivence toute spéciale qui les habite, ainsi que l'altiste Liisa Randalu. Mais en réalité, le « Lever de soleil » qui ouvre le présent album vaut tous les arbres généalogiques du monde. Quelques notes de l'Allegro con spirito suffisent pour que l'on s'éprenne du son merveilleusement homogène de l'ensemble : on entend d'abord un paisible accord, qui caresse l'oreille, puis la voix d'un violon folâtre, dont la ligne trace une courbe parfaite, toute de liberté et d'espièglerie contenue, sans que jamais l'équilibre entre les instruments ne chancelle. Certes, la mélodie, plus que les notes tenues des cordes graves, est l'élément saillant du discours musical ; mais tout l'art est ici que la notion même d'arrière-plan sonore s'estompe : les contributions de chacun semblent trouver naturellement leur place dans la masse sonore, selon un dialogue en perpétuel renouvellement. L'impression d'unité, de cohérence et de vigueur qui en résulte, s'étend tout au long des quatre mouvements du chef-d'œuvre de Haydn : c'est du grand art.

Après les paysages apolliniens du classicisme viennois, le face-à-face de deux pièces du second XXe siècle – deux panoramas monochromes et désolés – est d'une grande efficacité lui aussi. Entre les touches de son éparses de Takemitsu (Landscape) et les vastes aplats de Pärt (Fratres, dans sa version pour quatuor), les techniques de composition ne sauraient différer davantage, mais chaque fois, le fait jaillir l'émotion : nul trait n'est forcé, et l'on jurerait presque que les rouages de ces sombres partitions s'emboîtent d'eux-mêmes, si l'on ne devinait quel patient travail d'ensemble, de cohésion, de timbre, a dû précéder l'enregistrement. Cette version de Fratres donne même à ressentir physiquement ce mysticisme nostalgique si typique des œuvres d' après 1975.

Le second quatuor de Bartók, quant à lui, sert de pendant à Haydn, en tant que monument « classique » de la musique moderne. Dans ce triptyque d'inspiration nettement expressionniste, le paysage est plutôt celui du champ de bataille ravagé auquel l'Europe se résumait dans les années de composition de l'œuvre (1915-1917). Malgré un Allegro molto capriccioso confondant de virtuosité, c'est le dernier mouvement, le glaçant Lento, qui frappe le plus vivement l'imagination. Ces lignes hachées, harmonies fugitives ou discordances brutes, mettent remarquablement en valeur la pâte sonore, le grain des quatre instrumentistes. Le s'était déjà fait remarquer au Festival Radio France de Montpellier ; après un tel CD, nous ne pouvons qu'espérer le retrouver bientôt.

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