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Forum de jeunes compositeurs sous la houlette de l’Ensemble Aleph

Attentif à la jeune génération et interprète très actif dans l'univers de la création musicale, l'Ensemble Aleph a créé le Forum International des Jeunes Compositeurs en 2000. Suite à un appel à partition lancé sur internet, quatre lauréats âgés de moins de 40 ans ont été sélectionnés pour cette 8e édition et reçus lors d'une résidence de trois jours au Théâtre de l'Aquarium, à la Cartoucherie de Vincennes où l'ensemble est installé.

Conférences, répétitions, table ronde animée par étaient autant de moments d'échanges et de rencontre avec les compositeurs auxquels étudiants et tout public étaient conviés. A l'issue de cette résidence, le concert du dimanche affichait les quatre pièces en création mondiale. Elles étaient précédées de la nouvelle œuvre de la compositrice argentine et du Pierrot lunaire de Schoenberg.

Ashpa Rupaj (Terre chaude) de la compositrice argentine , présente dans la salle, est une commande de Radio-France dans le cadre des Alla Breve produits par . Le format de 10 minutes correspond aux cinq miniatures de 2 minutes entendues chaque jour sur France Musique et diffusées dans leur intégralité en fin de semaine. Il s'agit pour la compositrice qui sollicite l'antique langue quichua de renouer avec la terre de ses origines, celle du Nord de l'Argentine. « Elle brûle les pieds, nous dit-elle, quand le soleil darde ses rayons ». La matière est âpre et minérale, les sonorités percussives et sèches, qui favorisent les stridences « aveuglantes ». C'est une musique de gestes aux angles coupants, traversée par l'énergie. Seule la clarinette – – instille une touche de sensualité au sein d'une écriture organique autant que radicale.

Le Pierrot lunaire, que l'on attendait davantage en fin de concert, en termine la première partie. L'œuvre emblématique de la période expressionniste de Schoenberg (1912) reste toujours un défi pour les instrumentistes et la chanteuse, tant l'écriture y est ciselée et le propos condensé. Vingt et un monodrames (sept pour chacune des trois parties) sur les poèmes d'Albert Giraud, traduits en allemand par Erich Hartleben, s'y succèdent dans un rythme effréné et des contrastes d'univers saisissants. Le Sprechgesang (parler-chanter), médium du style expressionniste, qu'inaugure ici le maître viennois, exige de la chanteuse – Schoenberg avait écrit l'œuvre pour une diseuse de cabaret – une appropriation personnelle et un engagement théâtral total. Autant de qualités qui nourrissent l'interprétation étonnante d', sublime Pierrot jusque dans les détails vestimentaires. Située à cour sur une petite estrade lui donnant l'ascendant nécessaire, elle incarne chacune des situations théâtrales avec un relief dramatique et une palette expressive qui captivent l'écoute. Soulignons que ce Pierrot lunaire n'est pas dirigé, exigeant des six partenaires une écoute et une énergie communes qui ce soir sont à l'œuvre sur la scène de l'Aquarium. éblouissante passe du violon à l'alto avec une égale virtuosité. , impressionnant, donne une version d'anthologie de Sérénade (n° 19) avec son partenaire au piano. (flûtes) et (clarinettes) ne déméritent pas dans cet ensemble d'une admirable cohésion.

est sur scène, micro en main pour interviewer chaque lauréat du forum et nous introduire dans son univers singulier. Du Français d'origine chilienne, – il est installé à Lyon – Color Field II est inspiré par l'univers du peintre Rothko. L'œuvre gorgée d'énergie, à l'écriture virtuose, engendre un espace mouvant qui accuse les contrastes. La richesse d'une palette de timbres souvent bruités multiplie les modes de jeu instrumentaux au sein d'une trajectoire superbement conduite.

Autre compositeur chilien, vivant dans son pays, écrit La Caja de Tension, une œuvre où le silence devient une composante de la musique. Mise sous tension, la pièce développe un processus de discontinuité, alternant des moments pulsés et des plages plus suspensives. Entre autres surprises, le silence figeant les musiciens durant quarante secondes avant la désinence finale est un instant de théâtre très réussi. Français vivant à Nice, est un passionné d'Antiquité tardive. De fait, Le Songe d'Honoria nous plonge dans l'histoire romaine du Ve siècle après J-C. La pièce est tirée d'un opéra inachevé du compositeur dont elle assume, sans le texte chanté, la dimension narrative et dramaturgique. Les sonorités archaïques, rehaussées de cymbales antiques, et les textures microtonales du début de l'œuvre plantent le décor.

Mais la scène va s'animer et solliciter au sommet de la tension la voix furieuse des instrumentistes – et très impliqués – avant une chevauchée fantastique qui clôt ce songe d'une manière très spectaculaire. Radicalement contrastée, OM OM, la pièce du Taïwanais, vivant au Canada, s'inscrit dans un temps très étiré et joue sur les fluctuations/variations du spectre sonore. Dans ce « rituel du son » à la trajectoire immuable, le compositeur nous fait pénétrer dans les arcanes de la matière sonore. Celle-ci évolue de la transparence aux sons complexes, laissant parfois deviner les résonances lointaines d'une trompe tibétaine.

La prestation des musiciens d'Aleph sous la direction exemplaire de au service d'écritures aussi différentes les unes des autres, est rien moins qu'impressionnante.

Photos : ; Ensemble Aleph © Alizée Sarazin

 

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