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L’art du rythme, l’atout de David Kadouch

À la salle Gaveau, le pianiste donne un récital où transparaît son talent de rythmicien.

connaît bien le Concert sans orchestre de Schumann, pour l'avoir enregistré il y a quelques années. L'œuvre, dans cette version, c'est-à-dire avant que le compositeur ne la remanie et ne l'augmente pour en faire sa Troisième Sonate, se réduit à trois mouvements, d'où se détache une série de poignantes variations sur un thème alla marcia de Clara Wieck. C'est dans celles-ci, et surtout dans leur bref épilogue, que offre ses plus beaux moments de sincérité schumannienne ; pour le reste, il aborde ces pages fougueuses avec zèle, et il domine de haut le Prestissimo possibile final, véritable morceau de bravoure.

Il faut les Gaspard de la Nuit pour le comprendre : il y a, dans le jeu de David Kadouch et dans sa scrupuleuse attention au détail, un soupçon de matérialisme – une tendance quasi superstitieuse à privilégier la lettre, qui réduit fatalement la part de l'« interprétation », dans toutes les acceptions du mot. Lorsque Ravel indique pianissimo, comme dans maintes mesures d'Ondine, par exemple, le pianiste va jusqu'à détimbrer la ligne mélodique, là où il conviendrait plutôt de chercher à discerner l'esprit de cette nuance, c'est-à-dire la juste manière de chanter à mi-voix. Pour la même raison, les notes obsessionnelles du Gibet paraissent pâles et lointaines, avec, qui plus est, des excès de pédale forte qui ne contribuent pas à densifier le discours.

Mais d'un coup, tout change : le début de Scarbo est un flamboiement ; les rythmes acérés paraissent raviver l'âme du pianiste, dont les mains courent et caressent le clavier, dans une alternance d'accents convaincants et de légèreté facétieuse qui annoncent une deuxième partie de soirée plus habitée. Et en effet, une Première sonate de Prokofiev bien conduite, malgré des contre-chants exagérément soulignés, constitue la transition parfaite vers une Cinquième de premier ordre. Cette sonate est injustement mal aimée ; mais Kadouch, qui la joue aussi dans sa version princeps (c'est-à-dire sans les révisions de 1952), en saisit d'emblée tout le sel, sans doute plus à l'aise dans les sentiers non battus, sur lesquels rien n'est à prouver. Le lyrisme naïf de l'Allegro tranquillo le dispute à l'ironie de la valse mécanique, dans l'Andantino, sans un moment d'absence.

La suite En plein air de Bartók est, pour conclure, une parfaite apothéose : on trouve dans ses cinq courtes pièces toute l'énergie rythmique qui communique si efficacement sa grâce au pianiste. Tout sonne juste, et d'ailleurs non moins soigné : les déhanchements d'« Avec tambours et fifres », les susurrements des « Musiques Nocturnes », et surtout, l'incroyable toccata « La Chasse », d'esprit si pré-ligetien, dont la modernité toujours actuelle emporte, sous les doigts de Kadouch, la pleine adhésion.

Crédit photographique : © Alexandra Hager

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