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Nikolai Lugansky rend justice aux opus 37 de Tchaïkovski

Nikolai Lugansky s'attaque à deux partitions majeures de Tchaïkovski et signe l'un de ses meilleurs disques. Il insuffle une véritable émotion aux deux opus 37 du maître russe, avec d'abord une magnifique Grande Sonate, puis la suite Les Saisons, dont la plus connue des pièces, la Barcarolle, est un sommet de justesse et de poésie, dans un toucher sensible.

Si l'on aime cette musique, difficile de ne pas succomber dès la première minute du Moderato de la Grande Sonate à ce déploiement d'arpèges parfaitement typique de ce que Lugansky considère lui-même, dans une interview publiée en notice du présent album, comme une musique fortement inspirée de . Le toucher russe du pianiste n'hésite pas à appuyer sur le clavier comme sur les pédales, notamment à la coda du premier mouvement, mais démontre également une véritable finesse, par exemple lors de la présentation du thème du Dies irae intégré à ce même mouvement.

L'Andante prend son temps pour développer une partition moins personnelle que les autres parties de l'œuvre, même si une nostalgie latente, à rapprocher là encore de Schumann, mais aussi des sonates de Beethoven, trouve sous les doigts de Lugansky une intériorité jamais surfaite. Le court Scherzo affiche une dextérité exemplaire de la part du pianiste, dont le toucher toujours appuyé guide ce mouvement sans jamais marquer les pauses. Le Finale accélère encore le rythme, mais n'empêche pas Lugansky de maintenir un son délié, en plus de nuancer et varier les couleurs de la partition, en proposant un véritable discours pour développer cette sonate.

Sans doute plus poétique que ne l'aurait été Les Mois, le titre définitif de l'opus 37b, Les Saisons, n'empêche pas le recueil d'être découpé en douze parties représentant chacune un mois de l'année, en plus d'un titre en accompagnement. Ce choix n'est pas une transformation française, à la manière des « Chants sans mots » de Mendelssohn devenus « Romances sans paroles », mais bien une traduction littérale du russe. Janvier débute alors Au coin du feu sans que le pianiste n'en exagère la lenteur ; il y applique à l'inverse un recul et une réflexion tout à fait adaptés. La Chanson de l'Alouette en mars convainc tout autant par sa poésie et ses accents nostalgiques, aussi travaillés pendant les Nuits Blanches de mai. Pourtant, le grand moment est évidemment la Barcarolle de juin, celle qui servit à Jean-Jacques Annaud dans son film L'Ours.

Les parties plus dynamiques des mois suivants intéressent tout autant et sont développées sans accrocs par le pianiste : il revient à des intonations plus tristes et plus pensives dès la Chanson d'Automne d'octobre pour présenter ensuite en novembre une Troïka particulièrement retenue dans sa dynamique, même si elle accélère à loisir dans la seconde moitié. Décembre et Noël rappellent le style du ballet Casse-Noisette et les doutes de son finale quant au fait d'avoir ou non vécu un moment unique. Cet album de très grande qualité rejoint le palmarès des versions de Brigitte Engerer pour Les Saisons et de Mikhaïl Pletnev ou, plus encore, la référence incontournable de Sviatoslav Richter pour la Grande Sonate et dans ces deux ouvrages, les lectures de Viktoria Postnikova.

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