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Au Festival Pablo Casals, un concert à la croisée des générations

Pas de thématique à proprement parler pour cette 65ᵉ édition du Festival Pablo Casals, sinon l'affiche éclectique et foisonnante d'une manifestation qui essaime dans les hauts-lieux de la Catalogne et même au-delà. Si l'on retrouve en soirée, à l'Abbaye Saint-Michel de Cuxa, les Maîtres de l'académie en veste blanche, ces derniers sont rejoints cette année par de très jeunes interprètes, le notamment, qui a remporté en 2016 le prestigieux Concours International de l'ARD de Munich, tout comme la jeune harpiste qui partage la scène avec lui.

Le est né en 2013 avec une moyenne d'âge de ses membres qui n'excède pas 25 ans. Cet ensemble est seul en scène pour débuter le concert avec le Quatuor à cordes n° 2 op. 44 de Félix Mendelssohn, une pièce que le jeune quatuor aborde avec autant de fougue que d'assurance. On est d'entrée séduit par la qualité de son et l'intonation irréprochable des cordes, même si l'équilibre peine à s'établir au sein des pupitres dans un premier mouvement un rien touffu où le discours manque de souffle. Les musiciens excellent par contre dans le scherzo elfique qui fulgure sous les quatre archets cursifs. Le mouvement lent est empreint de sensibilité et réserve de beaux instants – dont un chant velouté du violoncelle – malgré le jeu très/trop confidentiel du premier violon. Le quatrième mouvement, sans doute un peu rapide pour l'acoustique des lieux, libère une énergie folle et témoigne d'une virtuosité de la part des quatre musiciens qui laisse sans voix. Le second quatuor à cordes à l'affiche est le premier de Bartók, une œuvre écrite entre 1907 et 1909 qui sera créée en 1910 : « Le premier ouvrage où je me sens moi-même » écrit Bartók bien que l'on y entende encore les influences de Wagner, Schoenberg et Debussy. Avant Janáček et la Suite lyrique de Berg, le premier quatuor du compositeur hongrois est la traduction sonore d'un amour déçu (Lento initial) et l'expression d'un retour à la vie (Allegretto et Allegro suivants). Conçu d'un seul tenant, l'œuvre procède en un crescendo d'une grande ampleur où les ressorts de la rythmique paysanne prennent peu à peu le pas sur les aléas de la subjectivité. Le canon des deux violons qui initie le Lento, préfigure les figures de contrepoint qui vont irriguer le premier mouvement sinueux et tistanesque. Une partie de violoncelle très éloquente – superbe Samy Rachid – en accuse le tragique. Son duo somptueux avec l'alto – Corentin Apparailly – nous introduit dans l'Allegretto, première étape vers la culmination finale conduite avec une énergie farouche par le quatuor, confirmant la belle autorité du violoncelle particulièrement sollicité. Une superbe coda du premier violon – sensible Jordan Victoria – laisse apprécier la pureté de ses aigus lumineux. La montée en puissance dans le dernier mouvement impressionne, assumée d'archets de maître par les quatre interprètes, avec une cohésion rythmique et une énergie sans faille, témoignant de la haute technicité de jeu de l'ensemble et d'une maturité rien moins que sidérante.

Autre lauréate du Concours International de Munich 2016, la jeune harpiste tient la vedette dans les pièces quasi contemporaines de Debussy et Ravel commandées par deux Maisons concurrentes : puisant à la source antique et à l'esprit de la danse, Danse profane et Danse sacrée de Debussy (1904) répond à la demande de la Maison Pleyel qui avait conçu une harpe chromatique à cordes croisées. Introduction et Allegro pour harpe, flûte, clarinette et quatuor à cordes de Ravel (1905) honore la firme Érard et sa harpe diatonique à pédale à double action. C'est évidemment celle que joue – et avec quelle grâce ! – ce soir. Elle est aux côtés des Maîtres de l'académie : Mihaela Martin, Hagai Shaham (violons), Gilad Karni (alto), David Cohen (violoncelle) et Joaquin Arrabal Samora (contrebasse). Rejoignant ses partenaires en un même flux poétique et envoûtant, la harpiste rayonnante nous laisse sous le charme. Hantée par la danse elle-aussi, la pièce de Ravel est plus solaire encore, plus sensuelle également, avec flûte () et clarinette () ondoyantes, augmentées du quatuor à cordes avec un Quatuor Arod tout en finesse et en transparence. Ravel élargit le champ solistique de la harpe, de ses graves opulents aux féériques harmoniques, laissant apprécier l'ampleur et la projection du son de l'interprète alliant souplesse et musicalité. Comment mieux ponctuer la soirée qu'en redonnant en bis cette perle de la musique française que Ravel, trop exigeant, voulait retirer de son catalogue !

Crédits photographiques : © Verena Chen

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