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La séduction du Don Giovanni de l’Ensemble Justiniana

Pari réussi pour le dixième opéra-promenade de l'. , plus légère que jamais, transporte avec l'itinérance d'un Don Giovanni revu et corrigé à tous niveaux.

Il y a belle lurette que, de ce qui pourrait n'être que contrainte (plein air avec déambulation entre chien et loup), a fait un atout. Depuis 1996, Quichotte, Carmen, Barbe-Bleue, Hansel et Gretel, Cendrillon et d'autres se sont ainsi « promenés », par tous les temps, dans bien des villages de Franche-Comté (mais aussi de Bretagne et d'Ile-de France), descendant, le temps d'un soir, d'un piédestal sur lequel on les croyait vissés, afin d'amener l'opéra là où il n'est pas coutumier qu'il aille. Ce Don Giovanni, créé à la Saline Royale d'Arc-et-Senans, (où fut tourné en 1965  le Don Juan  mythique de Marcel Bluwal avec Michel Piccoli), joué 9 fois, et présenté aussi (fusion des régions oblige) à Vézelay, ne fait pas exception à la règle.

Ce qui frappe, c'est la légèreté décomplexée de l'entreprise 2017. , un peu comme les derniers Sellars, s'est quasiment délestée de tout décor, se focalisant plus que jamais sur la beauté des corps de sa troupe comme de celle des lieux traversés (ce soir, la « petite cité de caractère » de Pesmes). Sept lieux différents (une cour d'école, la terrasse d'un château, des venelles, un bord de rivière, le frontispice d'une église…) mais une unique estrade, quelques lumignons festifs, des costumes parfaitement dessinés. Le fou d'opéra avide de perspectives n'en saura pas davantage qu'il n'en sait déjà sur le personnage (pas moins non plus qu'avec Sivadier à Aix au début de l'été) au fil d'une narration tranquille et respectueuse, convenant à une première approche. Ce que Charlotte Nessi réussit avec grâce, c'est, au-delà de l'alchimie qu'elle a su créer entre les chanteurs, l'extrême proximité désormais du héros de Mozart avec des spectateurs qui, la veille encore, ne soupçonnaient pas l'existence du séducteur de Da Ponte, la metteuse en scène ne déviant jamais de la profession de foi de l' qu'elle a créé en 1982 : « Comment imaginer l'opéra pour tous ?»

L'inédit est plus décelable dans la bluffante réécriture complète de la partition par Sergio Menozzi (les saxophones et l'accordéon se sont infiltrés dans la phalange solistique des 11 instrumentistes conduits avec un précieux sens de la coordination par Javier Gonzáles Novales) ainsi que dans de nécessaires glissements de terrains musicaux. L'oeuvre débute -pour peu l'on se croirait dans les Noces de Figaro !- par le duo Zerline/Masetto, ce qui a l'avantage de créer une complicité giocoso immédiate avec l'insouciance d'un public estival qui n'en sera que mieux cueilli ensuite par le dramma à venir : « Pourquoi on s'en va ? questionne un enfant après la mort du Commandeur. -Parce qu'il y a eu un meurtre ! » lui est-il répondu par une mère qui, comme le reste de l'assistance est conviée à décamper au plus vite. Les dialogues sont parlés en français gardant  quelques expressions italiennes dans le viseur, ainsi que quelques clins d'œil discrètement contemporains (on parle de « compagnie éco-responsable » quand il s'agit d'enjoindre l'assistance à rendre les masques qui l'avaient transformée en invités à la noce de Masetto !).  Léger et mélancolique, le tout  est parfaitement lisible.

La mutine et charmante Zerline de et le Masetto malmené de donnent le ton d'une distribution juvénile en tous points remarquable. est une splendide Elvire, parvenant à des sommets d'émotion à la fenêtre lors du trio du II. déroule avec précision un Or sai,chi l'onore d'un grand naturel. Le pétulant Leporello d' fait jeu égal avec son maître, incarné par un qui s'impose assez vite. L ‘ambiguïté existant entre les deux hommes est effleurée dans un éclat de rire au début du second Acte sur le bref Eh, via buffone. Le noble Commandeur de manque encore un peu de tonnante noirceur dans les aigus d'une scène finale un peu indécise : de quoi meurt exactement ce Don Giovanni passant enfin du sourire carnassier à l'effroi de l'outre-tombe, tenté de se défaire de ses habits et qu'on imagine libérer enfin dans le même geste son abondante chevelure trop longtemps contrainte sous le ruban, tandis que le cadavre du père d'Anna recule lentement dans l'obscurité de l'église ? La jolie voix de en Ottavio, très sous-employée, est celle qui fait le plus les frais d'une version qui, en sus de nécessaires ablations (2h15 sans entracte tout de même !), a snobé le deuxième solo de toutes les femmes (pas de jalouse!) et même le sublime Il mio tesoro. Si la crainte de lasser a conduit Charlotte Nessi à abandonner ces tubes (ne faisant frémir que les familiers de l'oeuvre), rassurons-la en affirmant que les lèvres suspendues de l'assistance étaient prêtes pour un quart d'heure supplémentaire.

Crédits photographiques : © Didier Marioton

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