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Ruhrtriennale : Kein Licht, pas de lumière mais des tas de clichés

Se présentant comme un opéra, ce spectacle fort peu musical aux ambitions démesurées reste désespérément terre-à-terre.

La catastrophe de Fukushima, Donald Trump, les illusions d'un tournant énergétique ne remettant pas en cause notre voracité en énergie, les folies de la société de consommation, et j'en passe : voici des thèmes qui ne pourraient être plus actuels, plus essentiels pour nous, et la voix acerbe et rageuse d'Elfriede Jelinek, qui profère sans prêcher, est de force à porter ces enjeux à la face du citoyen le plus négligent.

C'était sans compter sur . Au théâtre, Stemann a une sorte d'exclusivité sur les textes de Jelinek, qu'il tire du côté de la performance plutôt que du sens : ici, les nécessités du théâtre musical lui ont fait sévèrement tailler dans les textes, réduits à l'état de fragments, pour faire la place à une avalanche lassante de petits trucs scéniques à l'humour potache. Le théâtre débarrassé de la narration et des personnages classiques est une tendance de fond du théâtre allemand (et pas seulement allemand) depuis de nombreuses années, non sans débats enflammés. Stemann, qui est une figure de proue de cet art de la Performance (en allemand dans le texte), en livre ici une version particulièrement caricaturale : il tombe dans la facilité la plus complaisante, celle de se laisser griser par son sujet. En allant toujours plus vite, en surchargeant la scène d'effets divers, Stemann semble vouloir restituer le vertige d'une pensée en train de se faire et de découvrir des abîmes insoupçonnés : quel dommage alors que cette pensée que le sous-titre anglo-allemand convoque à grand bruit (un Thinkspiel, mot créé ad hoc par Manoury) ne dépasse pas le niveau du moins ambitieux article de magazine. Qui réussit à trouver dans ce fatras des traces de pensée nouvelle n'a pas fait très attention au monde qui l'entoure.

Platitudes musicales

Et la musique ? Née conjointement avec le spectacle de Stemann et, au moins en partie (l'année 2017 du titre), avec le texte, la musique de est le parent pauvre du spectacle. Réduite souvent à la fonction de bruit de fond, masquée par l'agitation scénique, elle ne sort que rarement de la banalité, sans doute parce que son écriture comme work in progress borne les possibilités du compositeur. Les chanteurs parlent beaucoup ; quand ils chantent, sans qu'on comprenne d'ailleurs pourquoi ils ont besoin de chanter, l'écriture vocale paraît étrangement désuète, jolie, expressive et sans intérêt. Manoury parle aussi, en français, pour expliquer sa démarche : le texte est plat, platement débité, et cet obligatoire moment de métathéâtralité ne va pas au-delà du gadget.

Ce nouvel opéra, commandé par l'Opéra-Comique même s'il passe par Duisburg et Strasbourg avant la salle Favart, avait été annoncé à grands frais depuis plusieurs années, à coups de communiqués triomphaux lors des prix obtenu a priori par le projet, et soutenu par une opération ambitieuse de mécénat participatif qui a attiré 105 donneurs particuliers : ce petit spectacle de Stemann et Manoury aux promesses philosophiques lourdes, mais au bilan théâtral et musical plus que modeste, rend cet effort bien dérisoire.

Mais au fond, cet opéra, cette catastrophe, cette apocalypse, nous les avions déjà vus. Non pas tel quel, bien sûr, mais sous le manteau de la parodie : Le Grand Macabre de Ligeti, créé près de quarante ans plus tôt, semble rétrospectivement une charge impitoyable, terriblement efficace et surtout férocement drôle de Kein Licht. (2011/2012/2017).

Crédit photographique : © Caroline Seidel/Ruhrtriennale 2017

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