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Irene Dalis, pour les collectionneurs et les autres

Ce surprenant CD, qui devrait illustrer, s'il en est encore besoin, la maîtrise consommée, vocale et dramatique, de la grande mezzo américaine des années 50-60, ne nous propose, hélas, que bien peu de bribes et fragments vocaux d'une jeune et toujours verte.

Certes, le CD est agrémenté de longs extraits de Carmen, huit en tout, chantés en allemand, qui nous viennent droit d'Oldenburg (mais en sommes-nous sûrs, tant la chose est trafiquée ?) où Dalis fit ses classes entre 1953 et 1955. C'est bien peu, et bien dommage. Mais qu'y pouvons-nous ? Seuls quelques enregistrements pirates, s'ils existent (et ils existent sûrement), plus quelques vidéos en ligne, pourraient satisfaire notre appétit, puisque les quatorze extraits ici présents sont les seuls que nous possédions en CD de cette immense artiste, qui n'aura finalement que peu enregistré. N'oublions pas cependant une admirable intégrale de Parsifal – Grand Prix du Disque 1964, avec Jess Thomas, , Hans Knappertsbusch – dans laquelle elle fut la première Kundry américaine de Bayreuth, et en fait, la première Américaine tout court à s'y produire.

Née en 1925 à San Jose, Californie, étudie aux États-Unis avec Edyth Walker et Paul Althouse, puis en Europe avec Otto Mueller et . Elle décroche dès 1953 un contrat au Staatstheater d'Oldenburg. Elle y débute, à 28 ans, dans le rôle d'Eboli (Don Carlos), qui devient vite l'un de ses rôles fétiches. Kurt Herbert Adler, director General du San Francisco Opera, fin connaisseur de voix, l'engage dès 1958 (toujours Eboli, avec cette fois Leyla Gencer, Piero Miranda Ferraro, Frank Guarrera, Giorgio Tozzi, Georges Sebastian). Puis c'est une solide carrière au MET qui l'attend. Elle y chanta plus de 28 rôles, en 274 apparitions. Elle y fut la Brangäne de la première Isolde de , l'Amneris de la première Aïda de , la Princesse de Bouillon pour les débuts au MET de Plácido Domingo, dans Adriana Lecouvreur, et bien d'autres rôles encore. À la retraite, elle retourna en Californie où elle créa le San Jose Opera dès 1976, qu'elle modèle d'après Oldenburg.

À l'écoute de ce CD, on est d'emblée séduit, puis charmé, parfois troublé, par la vaillance et le mordant de l'Ihr Götter ew'ger Nacht, en français « Divinités du Styx », par cette voix ample et sombre, sans lourdeur, au medium superbement bien assis, voluptueux, alerte, aux inflexions caressantes (Printemps qui commence, Mon cœur s'ouvre à ta voix… : deux perles, deux régals), par l'héroïsme et le cran corrosif et ravageur de l'O don fatale, par le grave plein, violent mais aussi l'aigu rond, riche et si chaud de sa Brangäne (un passaggio voix de poitrine-voix de tête sans douleur aucune, impalpable). Et comme elle sait habiter ses rôles ! Dalila, Amneris, Eboli, mais aussi Brangäne, Jenůfa, Ortrud, la Nourrice (Die Frau Ohne Schatten)…

Un CD qui annonce ce que sera Dalis dans un avenir dont il ne reste, hélas, que peu de traces au disque ; un CD qui nous laisse sur notre faim, mais s'avère sans prix pour les collectionneurs et pour les autres.

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